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"Serb anf French people are friends"

Du 3 au 7 mai,

En Serbie, après notre passage de la frontière, nous passons par le village de Mokra Gora, célèbre pour sa petite ligne de chemin de fer qui promène les touristes dans les montagne, un peu comme le train d'Artouste. Elle a servi de décors au film "la vie est un miracle" d'Emir Kusturica.

L'ambiance est plus apaisée, les maisons aux toits pointus, proprettes se nichent dans des vallées verdoyantes.

 

 

Nous trouvons ce soir-là un très joli bivouac dans une clairière, avec, luxe absolu, l'eau courante d'une rivière qui nous permettra le lendemain de faire un brin de toilette. Au matin, un vieux berger vient nous saluer. Son visage est buriné, un calot bleu vissé sur le crâne, la démarche cependant assurée, il nous parle avec entrain puis, voyant que l'on ne comprend rien, il nous quitte joyeux, sans rancune, après nous avoir donné une tape amicale sur l'épaule.

Une route d'abord pastorale mais qui devient vite un enfer péri urbain nous mène à Uzice. Après la seconde guerre mondiale et la libération de la Serbie par les partisans communistes, la ville avait été renommée "Titovo Uzice", l'Uzice de Tito. Le "Titovo" est barré désormais sur tous les panneaux, mais l'héritage communiste de la cité est toujours visible. Les deux seuls hôtels de la ville sont des blocs de bétons monolithiques, d'immenses structures impossibles à maintenir.  Nous n'avons pas le choix et nous installons pour une nuit dans l'un d'eux, fort mal nommé "Palas". Rien ne semble avoir bougé depuis des dizaines d'années, l'intérieur miteux est démesurément grand, tristement vide et semble se  déliter sous nos yeux. Cette chambre sera pourtant l'une des plus chères depuis le début de notre voyage.  L'ensemble de la ville à l'image des hôtels nous semble intégralement bétonnée et ne nous incite pas à prolonger notre séjour.

Imposant hôtel d'Uzice

Nous partons le lendemain, dans un train bringuebalant en direction de Nis, la troisième plus grande ville de Serbie, l'une des villes des plus anciennes des Balkans. Partis à 16h, pour une ville située à 250km de là et dans un train que la guichetière avait qualifié de direct, nous pensions profiter de la soirée à Nis. Quelle surprise lorsque Marco, un solide footballeur serbe de Prepoljé,  nous apprend que le train arrivera à Nis à 23h30! Cela nous laissera le temps pour faire plus ample connaissance avec Marco, qui effectue en ce moment ses 6 mois de service militaire. Marco est notre fée du jour, c'est avec son aide que Pierre a pu hisser son lourd vélo dans le bon wagon, juste avant le départ. Heureusement, car, coincée deux wagons plus loin, je me demandais avec angoisse si Pierre avait pu monter. Nous sommes surpris par certains des ses propos: "les serbes doivent être prêts pour la guerre, ils en ont eu tellement, on ne sait jamais...", "l'Europe n'intégrera jamais la Serbie, car de trop de criminels de guerre serbes sont jugés par le tribunal international" ce qui est injuste si on considère les nombreux "criminels de guerre croates,  soutenus par les américains, qui passent à travers les mailles du filet". Marco parle avec verve, on sent que le sujet lui tient à cœur. Il se détend lorsque nous parlons foot et pronostique un 2-0 pour la Serbie face à la France en septembre prochain lors des qualifications de la coupe du monde. Nous quittons à regret ce camarade de quelques minutes qui descend avant nous du train et disparaît en nous faisant un geste de la main.

Nous ne restons pas longtemps tous les deux. Florent, un étudiant en économie qui, grâce à Erasmus passe une année à Théssalonique vient nous parler. Il rejoint la Grèce en train, en prenant son temps, en "visitant" de nombreuses villes d'Europe. Le terme "visiter" est peut être un peu usurpé: il a passé 15 minutes à Belgrade, pas beaucoup plus à Sofia. Mais, cela lui suffit pour se faire un avis. Nous refaisons le monde avec lui. Il a de nombreuses théories : internet pour tous est une de ses solutions pour résoudre la crise, tous le monde devrait devenir végétarien pour sauver la planète, en économie on peut tout justifier. Il paraît très désabusé.

Nous arrivons finalement à Nis à 23h30. En un coup d'œil hors de la gare, Florent trouve que la ville est pourrie et décide de prendre aussitôt un train de nuit. Nous partons en vélo vers le centre; on s'était pourtant promis de ne plus débarquer dans une ville inconnue en pleine nuit. Mais, cette fois-ci, tout se passe bien. Nous rencontrons un sympathique chauffeur de taxi serbe qui parle parfaitement le français  (il a vécu à Paris et à même passé son bac là-bas) qui nous indique un super hostel (c'est à dire l'équivalent d'une auberge de jeunesse), propre, avec cuisine, internet, pas cher et tenu par des jeunes adorables. Nous sommes impressionnés par l'anglais parfait des jeunes que nous rencontrons. Nous profitons d'une journée à Nis pour nous refaire (lessive et quelques courses pour les futures étapes cyclistes) et nous visitons un  peu cette ville qui nous offre deux plongeons dans l'histoire et une jolie rencontre.

La ville de Nis (prononcer "Nish") était entourée de remparts construits au XVIII ième siècle. C'est par l'intérieur de cette enceinte que nous commençons notre parcours dans la ville. Très vite notre regard est attiré par une série d'appareils sur une pelouse. C'est une station météo, à côté d'un petit bâtiment. Nous nous approchons et entamons la conversation par la fenêtre ouverte avec une personne dans un bureau. C'est le chef du centre à qui j'explique que je travaillais dans le domaine de l'hydrologie dans un service de la météo française. Il nous invite tout de suite à rentrer et est enchanté de discuter un moment avec nous. Nous apprenons qu'en Serbie, contrairement à la France, le service météorologique est inclu dans une structure qui gère aussi l'hydrologie et la qualité des eaux et de l'air. Les serbes utilisent leur propres modèle de prévision. Ils font aussi, comme la Bulgarie, la Grèce et d'autres pays des Balkans des campagnes anti-grêle, dirigent des fusées au cœur des cumulus pour augmenter le nombres de noyaux de condensation. Le centre de Nis est un peu l'équivalent d'un Centre départemental. Notre collègue se plaint et plaisante ensuite sur la mauvaise qualité des stations Slovaques récemment acquises. Il nous parle de sa fille qui étudie à Houston, il se rembrunit: il n'ira pas la voir car il déteste les États Unis depuis qu'il a vu depuis le centre un avion  américain bombarder le marché et l'hôpital de Nis, décimant nombre de civils. Pour lui les USA sont "les plus grands terroristes". C'est la deuxième fois que l'on nous parle de manière si virulente des États Unis en Serbie.

Notre parcours n'est pas très gai car nous visitons ensuite un ancien camps de concentration, ou rien n'a bougé depuis la fin de la guerre. Le camps Crveni Krst ("Croix Rouge") était un camps de transit; les prisonniers -juifs, opposants serbes ou tziganes- étaient ensuite envoyés vers des camps de la mort, beaucoup mourraient aussi sur place ou étaient exécutés dans les collines de Bubanj. Une évasion réussie d'une centaine de prisonniers a eu pour conséquence une sanglante répression et un durcissement des conditions de détention. Sur les murs des cellules sont maintenant affichés des visages de victimes. Nous sommes effarés de voir sur une carte d'Europe la quantité de camps similaires qui ont existés. Nous sommes les seuls visiteurs et la grande porte d'entrée ne cesse de se refermer en grinçant sinistrement. Dure visite qui fait réaliser l'ampleur de la folie nazie. Comment est-ce possible? C'est courageux et nécessaire de maintenir ces lieux de mémoires, si dérangeants soient-ils.
 
Camps de concentration "Croix rouge"

C'est un autre épisode historique marquant de l'histoire Serbe que nous appréhendons ensuite par la visite de "la tour des crânes".
En voici succinctement l'histoire:
En 1809, alors que la Serbie est dominée par l'empire ottoman, une campagne de reconquête est menée par des rebelles Serbes (premier soulèvement serbe contre l'empire ottoman entre 1804 et 1813). Encouragés par leur victoires, il décident de reprendre la ville de Nis. Âpre bataille qui tourne en la faveur des Turcs. Le capitaine des Serbes restants, se voyant perdu, sort son pistolet et, dans un geste héroïque et désespéré, pour ne pas avoir à se rendre à l'ennemi fait exploser la réserve de poudre, tuant plus de mille turcs avec lui et ses derniers soldats. Le commandant turc, furieux, fait décapiter tous les morts serbes et envoie les scalps au Sultan Mohammed II à Constantinople.
Avec les têtes, les turcs vont ériger un monument barbare, une tour recouverte des crânes des combattants serbes en guise de briques, pour mettre en garde quiconque s'opposerait à l'empire Ottoman.
 
Petit bout de la tour des crânes
 
Quelques année plus tard, le monument laissé à l'abandon dans la campagne de Nis sera redécouvert par un poète français bien connu, Alphonse de Lamartine, au cours de son voyage en Orient. Saisi par l'horrible construction, il écrira alors: "...Qu'ils laissent subsister ce monument! Il apprendra à leurs enfants ce que vaut l'indépendance d'un peuple, en leur montrant à quel prix leurs pères l'on payé."

Nis ne sera libérée de l'occupation turque qu'en 1878.

On ne peut pas voyager sans être interpellés par l'Histoire et nos pérégrinations nous poussent à essayer d'en savoir un peu plus sur la complexe histoire des peuples des Balkans. Les envahisseurs ont été si nombreux (romains, turcs, allemands...), les frontières ont tant bougées... Cela nous amène à nous interroger sur ce qui fait l'identité de ces peuples, et plus largement sur ce qui fait que nous nous sentons français, provençaux, béarnais, méditerranéens, européens, citoyens du monde...

Il va falloir quitter Nis et reprendre nos vélos. Deux à trois jours de pédalage nous séparent de la Bulgarie. Nous comparons les routes et finissons par suivre les conseils de nos logeurs en empruntant la voie la plus directe qui suit de jolies gorges.
Ils ne doivent pas souvent faire de vélos ces bougres, car la route conseillée n'est pas très large et très fréquentée par les camions turcs. En fin de journée nous bifurquons sur un petit chemin pour bivouaquer près du monastère de Divljana. Un jeune couple de serbes nous sert gentiment d'interprète auprès d'un fermier, de deux moines, puis d'un animateur de colonie. Nous avons finalement leurs bénédictions pour dormir où bon nous semble. Le lendemain, un des moines orthodoxe, longue barbe, calot et tunique noire remontée dans la ceinture -car il jardinait-, nous ouvre la porte de sa belle église, pour que nous puissions admirer ses icônes dorées. Il est aussi curieux de nous que nous le sommes de lui, nous n'échangeons que par des regards et le remercions d'un salut de la main.
 
Monastère de Divljana

Quelques kilomètres plus loin, peu avant le coucher du soleil nous passons la frontière de la Bulgarie. Sur nos vélos deux rameaux de fleurs de lilas odorants. Un paysan serbe nous a arrêté sur le bord de la route pour nous les offrir, heureux de fleurir deux petits cyclistes français. Décidément, comme nous l'a dit un autre serbe, en nous indiquant le bon chemin, "Serb and French people are friends".