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Pastoral Vadi: première expérience dans une ferme biologique

Du 5 au 12 juin,

Après une nuit agitée dans un bus, nous arrivons enfarinés dans la petite ville touristique de Fethiye à 7h30.

Petite parenthèse sur les bus. Les turcs ont, selon toutes apparences, de grandes exigences de confort et de moelleux. Le sol des mosquées est recouvert d'épaisse moquette, les fauteuils où l'on prend le thé ont toujours leur petit coussin, les cafés sont remplis de tapis. Une exception: les bus. On y passe pourtant une nuit complète pour rejoindre les différentes villes si éloignées de Turquie; mais ils ne sont pas plus confortables que des bus de jour que l'on trouve classiquement en France. Ils n'ont par exemple rien à voir avec les confortables bus qui sillonnent l'Amérique latine. Les bus sont l'exception turque au confort moelleux.

C'est vendredi, le jour du marché, nous observons les étals qui finissent de se monter, de grandes toiles sont étendues pour protéger du soleil les producteurs, parfois assis à même le sol, qui présentent leurs récoltes.  Nous nous demandons quels sont les fruits et légumes qui sont cultivés dans la ferme où  nous allons travailler.

 Marché paysan de Fethiye

 Nous prenons une crêpe turque (appelée gözleme) banane et chocolat et un thé pour notre petit déjeuner. La cuisinière à qui je donne les 4 liras turques semble gênée. Elle appelle son collègue qui parle anglais. A ma grande surprise, il me demande de reprendre mon argent et de le déposer sur le sol. "It's first money, it's an old Turkich tradition, we don't touch first money". Les 4TL sont donc par terre... mais, si le sol turc n'est pas couvert de pièces c'est qu'elles sont ramassées lorsqu'un deuxième client a payé. On nous dessine un plan pour nous rendre à la ferme "Pastoral Vadi" (vallée pastorale en français) qui est à une dizaine de kilomètres de là. Il est à peine huit heure et le soleil commence à sérieusement chauffer. Le domaine écologique d'Ahmet Kizen se niche au fond d'une vallée fertile le long d'une rivière où poussent des fleurs multicolores et où abondent les jardins.

En fait il s'agit plus d'un domaine dédié à l'écotourisme qu'à la production agricole biologique. Les touristes -ou guests- y sont logés dans des maisons construites selon des méthodes traditionnelles et écologiques: soit en bois, soit en pierre, soit en terre.

En tant que volontaires, logés et nourris en échange de notre travail, nous continuons à utiliser notre traditionnelle maison écologique: notre tente.

Maison écologique en pierre

Maison écologique en bois (le double toit permet l'évacuation de la chaleur)

Maison écologique en terre

 

Notre maison écologique à nous, près de l'alambic pour faire les huiles essentielles. Derrière la palissade, le compost.

Une dizaine de personnes participent de près ou de loin au bon fonctionnement de cette ferme. Ahmet  en est le propriétaire et le fondateur. Une cuisinière et une intendante s'activent à la cuisine et s'occupent des guests. Nous travaillons aux champs avec Eray et Askin qui sont responsables des cultures. Ils ne sont là que depuis un mois et ont la charge de d'étendre le potager. Un paysan voisin vient aussi régulièrement travailler. Des amis qui apparaissent et disparaissent donnent des coups de main. On ne comprend pas toujours leur lien avec la ferme.

Les repas sont pris en commun dans une cuisine en plein air savamment conçue pour rester fraîche (double toit qui permet d'évacuer la chaleur, circulation d'eau à proximité, verdure...). Une cuisinière y prépare des repas savoureux et sains issus des produits bio de la ferme. Les repas sont quasi exclusivement végétariens.

Une assiette de petit dej'

Notre travail a la ferme durant la semaine a été plutôt répétitif et assez pénible. Il fallait préparer la terre des champs pour les rendre cultivables. Les champs ont été d'abords broutés par des moutons (!) puis labourés (avec une charrue menée par un cheval) et nous nous occupons de les bêcher et de finir le désherbage.  On a appris rapidement un nouveau mot turc "çapak" (bêcher). Tous les matins entre 6h et 8h30 environ et tous les soirs de 17H30 à 20h30 nous cassons les mottes et faisons de petits tas des racines et de pierres.  Une ampoule ouverte sur la main m'a permis d'obtenir une tâche alternative: la brouette "el arabate". Armée de ma fourche, je brouette les monticules de racines jusqu'au compost. Nous avons vite mal au dos et derrière les cuisses...  Nous sommes aussi piqués par de nombreux insectes. Pendant deux ou trois jours j'ai une cheville enflée pour cause d'une piqûre. Askin, avec qui nous travaillons me dit que ce doit être un petit serpent! Pas facile la vie "bio".

On regrette un peu aussi de ne pas en apprendre plus sur les méthodes de production biologiques et de ne pas avoir une visite détaillée de la ferme. Mais nos collègues débutent dans le domaine et la barrière de la langue ne permet d'aborder des détails techniques.

 

Le champ à bêcher et la brouette...

Mais parlons des bons moments. Je pense d'abord celui-ci qui est très simple: après une heure ou deux de "çapak", l'un de nos comparse s'éclipse souvent pour aller dans le verger d'à côté nous cueillir de succulentes petites pêches sucrées ou des oranges que nous partageons, parfois assis dans le champs. Délicieuse pause sucrée. Petit à petit nous nous lions d'amitié avec Askin et Eray avec qui nous communiquons grâce à notre petit dictionnaire français/turc. Eray aime chanter et chante joliement des chants traditionnels turcs, kurdes ou arméniens, avec d'émouvantes vibrations. Askin se met sérieusement à apprendre le français. Ils nous font visiter les alentours. Eray nous a amené dans sa jeep vers l'amont de la rivière où demeurent les restes d'une mine de chrome exploitée par des français. Cette belle rivière riante est une bénédiction, sans elle le domaine serait un désert. Nous nous baladons le long de ses berges qui nous révèlent des surprises: un arbre d'une espèce endémique (aidez-nous à l'identifier dans la rubrique kézako) dont la sève a un parfum doux et sucré semblable à du lilas, des libellules sombres, une station hydrométrique... En chemin nous nous arrêtons sous un mûrier platane et nous gavons de ces délicieux fruits violet sombre, poisseux et tachants.

 

Eray cueille du millepertuis pour le mettre à  sécher

 

Dégustation de mûres

 

Une autre fois nous descendons la rivière jusqu'au bord de la mer. Une plage privée qui appartient à la résidence "Yonca" tenue par les parents d'Emla, qui vient donner des coups de main à Pastoral Vadi. Nous sommes encore une fois, comme en Croatie, choqués par ces plages accaparées par des résidences et des hôtels, dont l'accès est interdit au simple public. Sur la plage, des tables, des coussins, un hamac. Des poules naines vaquent autours de nous. Dans la rivière qui se jette dans la mer il y a des tortues d'eau et beaucoup de poissons. Un bain dans cette mer chaude nous délasse. Au loin nous pouvons profiter d'une jolie vue sur les îles et la côte montagneuse qui entoure cette plage. Nous nous attablons avec Eray et Askin et avec des gestes, des mots anglais, français ou turcs nous en apprenons un peu plus sur eux. Eray nous révèle qu'avant de travailler à la ferme il était éditeur à Istanbul, il a aussi vécu dans sa jeunesse à Adana (c'est d'ailleurs là qu'il a connu Askin) puis à Mardin (l'amour qu'il a pour cette ville influencera notre parcours futur). Il a laissé tombé l'édition pour le rude travail agricole. "Pourquoi?" lui demande-t-on. Pour plus de liberté nous répond-il, pour s'éloigner de la société de consommation et du stress. Askin c'est un peu la même chose, il a de son côté abandonné son ancien métier de libraire. Eray  nous confie qu'il était communiste dans sa jeunesse. Il est amusé de notre réaction "Lorsque l'on  parle de communisme avec des Turcs cela crée tout de suite un malaise et un blanc dans la conversation, lorsque l'on en parle à un français cela ne choque absolument pas". Nous lui demandons si il est toujours communiste aujourd'hui et il nous répond avec un grand sourire "anarco-communiste". Eray était étudiant en médecine et membre du parti communiste turc lors du coup d'Etat militaire de 1980. Il a été emprisonné pendant cinq ans et a été torturé. Du coup il n'a pas fini ses premières études et s'est reconverti plus tard dans l'édition. Le récit de cette vie traumatisée nous laisse songeurs.
A cinq heures on se prépare pour aller "çapaker", en général assis sous l'auvent de la maison principale, qui abrite les outils et le séchoir à fleurs nous patientons quelques minutes et attendons que le soleil décline. La vie à Pastoral Vadi est aussi faite de grands moments vides, en milieu de journée il fait si chaud que nous n'avons pas le courage de prendre nos vélos pour aller nous balader dans les alentours. Assommés par la chaleur, et fatigué par la travail matinal, nous faisons de longues siestes dans une cabane dans un arbre, lisons ou jouons au échecs...

Plage de "Yonca lodge"
 
Dans la ferme on récolte des olives, divers fruits et légumes, des œufs. On y fabrique  même vin, de l'huile d'olive, des huiles essentielles... Une grande partie des produits de Pastoral Vadi est consommée sur place, seule une petite fraction est vendue à l'extérieur et en général à Istanbul ou Ankara. Toutes les méthodes de production sont à l'ancienne: rien n'est mécanisé. Le vin est est foulé au pieds, un pressoir en pierre est utilisé pour l'huile d'olive et pour les champs c'est la charrue à cheval, l'huile de coude et la bonne vieille bêche. C'est une certaine philosophie. Elle permet de faire découvrir des modes de production anciens aux touristes. Ce n'est en tous cas pas une méthode viable pour démocratiser la consommation de produits biologiques. Nous serions curieux de visiter une ferme biologique moins "artisanale" et orientée vers une production à plus large échelle. On y pense d'autant plus lorsqu'en plein bêchage nous nous disons qu'un motoculteur pourrait nous remplacer!
 
 
Eray et Askin ont rapporté une bouteille de vin pour notre dernière soirée