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Toujours plus à l'Est de Diyarbakir à la frontière iranienne

Du 25 juin au 7 juillet,

C'est Eray qui nous avait convaincus de passer par le Sud de la Turquie. Puisque nous avions obtenu notre visa iranien à Ankara, en évitant le site iranianvisa, rien ne nous obligeait maintenant à passer par le consulat d'Erzurum. Par ailleurs, nous envisagions sérieusement un plan B en cas d'impossibilité de passer par l'Iran: pourquoi ne pas continuer notre petit tour de Méditerranée en descendant par la Syrie puis le Liban?

Toute la suite de notre périple en Turquie (et même en Iran jusqu`a Ouroumieh) se déroule dans un territoire peuplé majoritairement de Kurdes qui sont majoritairement sunnites comme les Turcs.  La Turquie, qui est le pays où  la minorité est la plus présente, a toujours réprimé  l'affirmation de l'identité kurde.  Le PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, est une organisation armée en conflit avec le gouvernement turc depuis 1978, ses demandes originelles d'indépendance se sont muées plus récemment en volonté d'autonomie au sein d'un état fédéral. On a pu constater une présence militaire turque renforcée dans toute la zone que l'on a traversée. Les kurdes que nous avons rencontrés se présentaient comme kurdes et non turcs, on sentait l'attachement très fort de ce peuple a sa langue et son identité.

Carte du territoire à majorité kurde

Nous voici donc à Diyarbakir, capitale kurde de l'Est anatolien. Mal aimée du gouvernement turc, la ville nous semble plutôt déshéritée. Elle renferme pourtant quelques richesses architecturales, peu mises en valeur. Nous les découvrons en compagnie de Kader, qui nous aborde dans la rue et passe avec nous toute une après-midi. Il nous conduit d'abord en haut des remparts. Ce sont d'épaisses murailles de basalte noir construites au IVème siècle, pour protéger la ville, mais qui tombent en ruines à plusieurs endroits. La montée est d'ailleurs assez périlleuse... En France on aurait installé un parapet ou interdit l'accès.

 

En haut des remparts de Diyarbakir avec Kader

Depuis les remparts nous énumérons les minarets, ces fines flèches qui pointent les nombreuses mosquées de la ville. Kader ne parle pas anglais. Peu importe. Nous nous asseyons tous les trois, il nous propose de partager une cigarette (parfois je regrette de ne pas fumer, tant cette mauvaise habitude permet de lier des conversations à l'Est) et nous donne notre première leçon de kurde. "Rojbas" pour bonjour, "Spas" pour merci, ça nous sera utile. Nous le suivons ensuite dans les petites rues jusqu'à la mosquée Behram Pasa, puis à la Grande Mosquée. C'est ensuite nous qui l'invitons à boire un thé dans le han de la ville. Qu'est-ce-qu'un han? C'est une place qui servait aux commerçants empruntant la route de soie à entreposer leurs marchandises. Ils étaient hébergés dans les caravansérails. Le han de Diyarbakir a été judicieusement reconverti en place commerçante où il fait bon prendre son temps et prendre son thé. Première démonstration d'hospitalité kurde.

Han de Diyarbakir

Nous restons deux jours dans cette ville et passons beaucoup de temps sur Internet:  recherche d'informations et de contacts en Iran, suivi de l'actualité iranienne, renseignements auprès des ambassades,  possibilités de passage par d'autres pays, contact avec les compagnies de cargos... Nous sommes préoccupés et hésitants quant à la suite de notre voyage. Une chose est sûre, nous n'avons pas envie de rebrousser chemin et de revenir prendre un avion à Istanbul.

Il fait une chaleur étouffante et durant toute une journée le ciel de Diyarbakir se colore d'une teinte orange. Le phénomène est courant, c'est la conséquence de tempêtes de sable qui viennent de Syrie. Le soir dans la rue les hommes mangent des kébabs sur de petit tabourets dans la rue. Nous en faisons autant. Nous découvrons aussi lors de notre passage une délicieuse spécialité: le kaburga dolmasi (côtes d'agneau farcies).

Enfin nous reprenons les vélos, dans la soirée vers 18h. Nous comptons bivouaquer près de la route pour Mardin. Le paysage est plat, vibrant de chaleur, des champs de blés brûlés ou déjà fauchés sont notre unique horizon. Nous n'avons pas le choix et nous installons pour la nuit sur la terre dure et craquelée d'un des champs fauchés à l'écart de la route.

Bivouac dans le champ de blé

Réveil difficile, après une nuit de cauchemar, je suis malade. Le début de la route est un calvaire, il doit être à peine 8h mais déjà la chaleur est étouffante, j'arrive à peine à pédaler et suis péniblement Pierre. Je n'ai qu'une envie, m'arrêter et dormir, mais autour de nous il n'y a rien, pas un seul arbre pour nous offrir son ombre. Une station service est notre oasis. Pierre demande au patron l'autorisation de nous reposer dans le jardin, il commence lui aussi à se sentir barbouillé; nous accusons le kébab de la veille. Nous nous écroulons sur nos ponchos sur l'herbe. A peine allongés, un des hommes de la station nous apporte des matelas et des coussins, délicate attention.  Au réveil, on nous apporte du thé, un grand pain, du fromage et des olives. Nous restons toute la journée nous reposer dans le jardin de la station, on nous offre à manger du riz et de la pastèque. C'est un moment incroyable, alors que nous sommes malades et découragés, le hasard du voyage vient nous soutenir, nous nourrir, nous reposer, comme une incitation à tenir bon. Nous passons la fin de l'après midi à discuter avec Yasar, le généreux propriétaire de la station service et Erdal, son ami.

 

Dans l'oasis de la station service, avec Erdal et Yasar

Devant un PC, nous nous faisons écouter de la musique turque et française. Je découvre avec jubilation qu'il existe un moyen de contourner la censure du gouvernement turc pour Youtube. Amateurs de déhanchés n'hésitez pas à aller regarder les clips très kitchs de la star turque Tarkan (un équivalent masculin et oriental à Shakira), on peut vous conseiller kuzu-kuzu ou Simarik.

Le soir, reposés, mais toujours pas très en forme nous quittons notre havre, sans trop savoir comment nous allons réussir à avancer. Encore un coup du destin, à peine quelques centaines de mètres plus loin, en bord de route, Kader semble nous attendre. Nous acceptons de bon cœur son invitation à grimper dans son camion. Les vélos sont posés sur des sacs de ciment, et hop! nous voilà dans la cabine moquettée de notre nouvel ami.

Dans le camion de Kader

Nous sommes très reconnaissants pour ces 50 km de route torride évités

Kader est jovial et le trajet agréable et animé, ponctué par un thé sur la route. Les kurdes aiment bien les français, nous assure-t-il. Kader parle turc, arabe et kurde, ce qui est courant pour les habitants de cette région frontalière avec la Syrie et l'Irak. Il a sillonné la Turquie, l'Iran, l'Irak, la Syrie avec son camion. Il nous laisse à Mardin et nous n'avons plus qu'à gravir une belle côte pour pénétrer dans le centre de cette ville perchée. Le hasard et la nécessité de trouver rapidement un logement font que, ce soir là, c'est dans un palais des milles et une nuits que nous dormons.

Sur la terrasse du caravansérail de Mardin

C'est l'ancien caravansérail de la ville, transformé en hôtel. Ce sont les voisins (de la boulangerie juste à côté de l'hôtel) qui négocient le prix de la chambre pour nous et nous invitent à venir manger chez eux. Nous posons nos affaires et l'on nous fait installer nos vélos dans une autre chambre! Nous pensons nous coucher sans manger tant nous sommes malades et fatigués, mais par politesse et reconnaissance sortons pour remercier nos voisins et décliner leur invitation. Ils insistent tellement que nous acceptons finalement de prendre un thé chez eux, mais, à peine installés sur leur petite terrasse qui donne sur la rue, voilà qu'ils nous servent tout un festin: soupe, macaronis, fruits et olives, gâteaux secs...! Le boulanger est très amoureux de sa femme qui est d'origine roumaine. Lorsqu'il parle d'elle  il joint les doigts de la sa main vers le haut et fait un petit claquement de langue pour nous faire comprendre qu'il a de la chance, qu'il est heureux et vit avec une véritable perle. Sa femme respire la joie de vivre, elle est enchantée de discuter avec moi qui vient d'Europe (la Roumanie et la France, nous sommes des voisines!) et avec qui elle peut échanger quelques mots d'italien. Ils nous racontent leur histoire, leur mariage en Roumanie... Ils ont un fils dont ils sont très fiers. C'est une famille qui fait plaisir à voir, ils apprécient d'habiter dans une partie du caravansérail dont les murs sont en pierre travaillée et font près d'un mètre d'épaisseur, d'avoir un canari qui chante le matin, de pouvoir dormir sur la terrasse du toit depuis laquelle on voit la Syrie... Nous, qui voulions nous affaler sur un lit, passons une longue soirée d'échange avec une charmante petite famille cosmopolite. 

Le lendemain nous sommes toujours malades. Une très courte visite de la ville le matin nous prouve qu'Eray ne nous avait pas menti, Mardin possède un charme particulier. La chaleur y est cependant accablante. 

En soirée nous mettons nos vélos dans un minibus jusqu'à Hasenkieyf. Les vélos sont sur le toit et une musique traditionnelle très lancinante berce notre voyage.

Hasenkieyf sur les berges du Tigre

Le petit village d'Hasenkieyf offre un joli point de vue sur le Tigre encadré de falaises où se nichent des habitats troglodytes. Les ruines d'un pont du XIIème siècle mettent aussi en valeur le site. C'est un lieu de villégiature surtout fréquenté par des familles turques. Au bord du Tigre des cafés sur pilotis ont été installés, des enfants s'aspergent joyeusement dans l'eau plutôt boueuse du cours d'eau. Nous trouvons un petit café creusé dans la falaise où échapper à la chaleur. Dans le village, qui est minuscule, nous rencontrons un musicien traditionnel turc qui nous invite à prendre un thé, il nous demande, comme à l'accoutumée, si nous sommes mariés, ce à quoi nous mentons par l'affirmative (c'est plus simple), il nous demande alors si nous avons des enfants et s'attriste que nous n'en ayons pas, il nous invite à revenir à Hasenkieyf lorsque nous aurons une famille digne de ce nom, avec 5 ou 6 rejetons...

Le soir, à la nuit tombée le thermomètre de la montre de Pierre indique plus de 35°C. Nous passons une soirée difficile, sans énergie, sans appétit, nous arrivons à peine à avaler quelques pâtes. Difficile aussi de dormir entre les vaches et les ânes qui viennent éventrer notre poubelles et les coqs qui chantent près de la tente. A cinq heures du matin nous nous demandons si nous repartons en vélo, mais nous n'en avons pas encore la force. Nous reprenons donc un minibus qui nous conduit à Tatvan via Batman. Lors de ces voyages en minibus bondés, dans ces paysages arides, assommés par la chaleur, accompagnés par cette musique traditionnelle lancinante nous flottons comme dans des demi-rêves... 

Paysage entre Midiyat  et Hasenkieyf

Enfin il fait plus frais! Tatvan est à 1500 mètres d'altitude, au bord du lac Van, le plus grand lac de Turquie. Nous reprenons du poil de la bête. Les infos que nous avons récupérés par des amis et des contacts internet nous permettent d'envisager de passer en Iran.  A Tatvan nous nous marions. Désolés, on avait pas le temps d'inviter tout le monde, ça s'est fait rapidement, on a négocié ferme les alliances auprès d'un petit vendeur d'or et nous voilà mariés pour de bon aux yeux des curieux. On divorcera sans doute avant notre retour, dès que l'on repassera dans des pays plus progressistes...

Nous nous renseignons auprès de la compagnie locale pour traverser le lac en bateau. A 7 heures du matin à l'embarcadère le gardien nous affirme que le bateau partira à midi. Nous revenons donc à midi à l'embarcadère. Les employés du bateau se reposent, jouent au cartes ou regardent la télévision. C'est le vieux port de Marcel Pagnol, version kurde. Ils nous nous annoncent que le bateau traversera finalement à 19h, et que l'on peut se reposer ici en attendant! La traversée de nuit perdant tout son intérêt et ayant un contact à rencontrer à Van dans la soirée nous décidons de prendre à nouveau un bus pour Van. Comme mon porte bagage avant frotte sur la roue, on se lance dans une réparation, mais très vite un attroupement se forme et un des hommes de la compagnie nous prend le tournevis des mains et décide de prendre en charge les opérations. Avec Pierre nous assistons, amusés, à des chamailleries entre eux sur la stratégie à adopter pour redresser le porte bagage. Ils nous font cadeau de colliers de plombiers qui nous seront bien utiles par la suite et finalement l'un d'entre eux parvient à rafistoler le porte bagage retors et nous invite à prendre un thé. En repartant dans la ville, nous faisons une nouvelle rencontre. C'est un kurde originaire de Tatvan, mais qui vit tour à tour en Europe, en Inde ou à Dubai car il est chef cuisinier pour une chaine d'hôtels de luxe. Il parle parfaitement l'anglais, le turc, le kurde et l'hindi. Nous pique niquons avec lui et il négocie pour nous un bus pour Van. 

Nous arrivons le soir à Van. C'est une ville plus grande et qui nous semble assez "branchée". Nous sommes déçus car notre contact dans la ville nous a donné un mauvais numéro de téléphone. Le lendemain nous reprenons enfin les vélos. Ce sont trois journées de belles routes de montagne qui nous attendent jusqu'à la frontière iranienne de Sérou.

Lac artificiel du barrage Zernek

Pause thé dans une station service

Bivouac avant le col de Guzeldere

Ça nous fait très plaisir de pédaler à nouveau dans un bel environnement. Le deuxième jour, un camion s'arrête pour nous prendre dans une longue côte. Nous acceptons. Le voyage nous a apprend à profiter des opportunités. Dans le camion d'Ahmet, qui transporte du ferraillage, nous franchissons un col à 2700 mètres. Nous sommes presque déçus de ne pas l'avoir gravi à la force de nos petits mollets tant la vue dans les lacets est merveilleuse.

Vue depuis le col
 
 
Avec Ahmet

Cependant si nous avions refusé nous aurions ratés de très bon moments! On se souviendra d'une belle ligne droite, avec de la musique traditionnelle iranienne à fond les ballons, et d'une pause thé préparée dans le coffre-cuisine aménagé sous le camion!

Ahmet nous dépose à contre cœur dans le village de Baskale. Juste le temps pour nous de faire quelques courses pour notre pique nique de midi et de passer au cybercafé. On veut partout nous inviter à prendre le thé et à discuter, au cybercafé, chez le vendeur de fruits puis au petit market. Le jeune homme qui nous aborde au market parle un impeccable anglais. Il est d'ici, mais est allé étudier 2 ans à New-York. Nous nous installons avec une dizaine d'hommes du village autours de table près de la terrasse. Notre nouvel interprète nous parle des kurdes et nous donne les noms kurdes des prochaines villes que nous allons traverser. "Si vous appelez les villes par leur nom kurde, vous vous attirerez la sympathie de leurs habitants". Nous assistons ensuite à une scène digne du "parrain". Une voiture arrive, un homme descend du véhicule escorté par un autre homme armé. Pour l'accueillir, tous les hommes se lèvent (nous en faisons autant). Notre interprète nous apprend que c'est son oncle, le potentat local et qu'il se déplace toujours avec un garde du corps pour se protéger d'une vengeance familiale... L'oncle s'assied et tout le monde se rassied. Il entame une partie de tric trac et lance de temps en temps des remarques ou des questions à notre attention. Après deux thés et un long moment d'échange nous décidons de repartir. Notre ami nous invite à revenir quand nous voudrons à Baskale, il se fera un plaisir d'être notre hôte. Il nous conseille de ne pas oublier de dire au revoir à l'oncle... ce que nous faisons, pas la peine de s'attirer les foudres de ce parrain kurde... 

Il est déjà 16h et entre toutes les sollicitations pour parler ou prendre le thé, nous n'avons pas eu le temps de déjeuner. Nous nous abritons du vent et des généreux kurdes pour grignoter un peu de pain, une saucisse sèche sans porc et quelques abricots. Notre route continue dans une vallée qui longe une rivière au lit tressé. Nous bivouaquons près de la rivière et avons même le luxe d'une douche sous une cascade le lendemain.

Rafraichissant et agréable

Dans la ville de Yuksekova, où, une fois n'est pas coutume, la population est plutôt hostile à notre égard, un poste militaire nous accueille à l'entrée et il faut présenter notre passeport à un autre poste à la sortie. La présence militaire, déjà plus marquée depuis Diyarbakir, se densifie à mesure que nous approchons de la frontière. Nous croisons de nombreux autres bastions militaires avant de nous arrêter, quelques 20 km avant la frontière iranienne. C'est notre dernière nuit en Turquie et nous bivouaquons dans un vallon à l'écart de la route. Le lendemain je sors mon "équipement iranien": une chemise à manche longue et un foulard à mettre sous le casque... Pas très pratique. Heureusement nous n'avons pas prévu de pédaler beaucoup en Iran, nous comptons continuer en bus dès que nous aurons atteint la première grande ville. La chaleur et un visa de 15 jours nous ont décidés à changer notre mode de voyage dans ce pays que nous appréhendons un peu mais qui nous intrigue beaucoup.

Équipement de cycliste iranienne avant la frontière