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Delhi, deuxième impression

Du 16 au 21 septembre,
 
Pendant ces journées, nous n'avons malheureusement pas pris de photos.

Après avoir dormi dans le train, nous arrivons à la "Old Delhi Station" au petit matin avec la sensation de revenir dans un endroit familier. Tak ne peut pas nous recevoir, dans deux jours, il part en vacances aux États-Unis. Nous partons donc à la recherche d'un hôtel. Direction "Pahar Ganj", un quartier populaire qui rassemble de nombreuses adresses bon marché. Il a beau être huit heure du mat', les rabatteurs sont déjà à leur poste. L'un d'eux nous prend en charge. Pendant deux heures, il va nous montrer des taudis ou des hôtels trop haut de gamme. Impossible de s'en dépêtrer. Après deux heures d'efforts, nous avons très envie de trouver enfin une chambre où nous reposer, et lui, on peut le comprendre, il a très envie de gagner sa commission! Nous trouvons finalement tout seul l'hôtel "Prem". La chambre 302, au troisième étage, est impersonnelle avec ses murs jaune pisseux mais a l'immense avantage de posséder une fenêtre qui nous offre un coin de ciel. Dans la salle de bain, seul un robinet sur les quatre fonctionne, c'est déjà pas mal! (J'imite Patrick Boman qui dans son récit de voyage "Retour en Inde" que je suis en train de lire décrit un peu de cette façon toutes ses chambres d'hôtel).

A Delhi, nous passons beaucoup de temps dans les cybercafés pour organiser la fin de notre année de voyage, au moins dans ses grandes lignes. Nous quittons l'Inde dans un mois en navire porte conteneurs direction Malte. Ensuite, nous prendrons un ferry pour la Sicile et un autre pour la Tunisie. Mais à partir de là, ça se corse! Le retour par l'Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne) tel que nous l'avions imaginé semble compromis. D'une part, nous avons appris il y a peu que les frontières terrestres entre l'Algérie et le Maroc sont fermées (depuis 1994!). D'autre part, il semble qu'obtenir un visa algérien depuis un pays différent de la France soit impossible. Qu'à cela ne tienne, nous allons changer notre fusil d'épaule. Au début de notre voyage, nous avons lu "A l'école du monde" de Christelle Savoye, une institutrice qui raconte l'année qu'elle a passée à pédaler en Afrique noire, en Amérique du Sud et en Chine. Elle parle tellement tendrement des Burkinabais, des Maliens et des Sénégalais avec qui elle a eu beaucoup de contacts, qu'elle donne envie d'aller à leur rencontre. Et maintenant que nos vélos nous ont mené jusqu'en Inde -nous en sommes les premiers surpris- nous nous sommes dit que nous pourrions passer par l'Afrique noire. Nous allons donc essayer de traverser le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc et l'Espagne avant de rejoindre la France. Malheureusement, pour aller de Tunisie au Burkina, nous allons encore être contraints de prendre l'avion alors que nous voulions éviter ce mode de transport. Avant de partir, nous ne savions pas qu'il était si difficile de franchir les frontières et qu'il y avait tant de zones à éviter. En Europe, c'est si simple de passer chez son voisin!

Nous voulons aussi profiter de notre passage dans la capitale pour nous faire vacciner contre la fièvre jaune, impératif pour pouvoir monter sur le cargo car il y a une escale à Djibouti. Tak nous conseille un hôpital mais nous devons finalement aller dans un hôpital public gouvernemental, seul habilité à délivrer le certificat international de vaccination. Nous nous présentons donc dans un immense hôpital pendant le bon créneau horaire, faisons la queue, il y a au moins une cinquantaine de personnes présentes, payons 300 roupies, remplissons le certificat, sommes vaccinés à notre tour et le médecin présent, tamponne et vise le fameux papier cartonné. Un bel exemple de taylorisme, efficace. Les seringues et les aiguilles sont stériles; en non initiés, c'était tout ce que nous pouvions vérifier. Chaque fois que nous y avons été confronté, le service de santé indien nous a paru de bonne qualité. Sandrine et Mickaël, les deux infirmiers français que nous avons rencontrés à Dankar dans la vallée de Spiti et qui sont eux aussi allés à l'hôpital, nous l'ont confirmé. De plus, dans les hôpitaux gouvernementaux, les consultations, les soins et les médicaments sont gratuits.

Le deuxième service public que nous visitons ce jour-là est la poste. Pour nous alléger un peu, nous avons préparé un colis d'affaires dont nous n'aurons plus besoin et que nous voulons renvoyer en France. Notre dernier colis, nous l'avions posté en Iran. Nous étions arrivés avec un paquet tout prêt, fermé où tout était rangé au millimètre. Ils avaient tout ouvert pour vérifier le contenu et tout mis en vrac dans un carton à eux. Alors, on s'est méfié, et on est arrivé avec un colis ouvert. Mais cette fois, il fallait que le colis soit fermé et emmailloté! Heureusement, à la poste, un employé nous a cousu un joli tissu autour de notre paquet et on a pu aller faire la queue au guichet. La queue en Inde mérite bien quelques mots. La plupart des Indiens ne savent pas faire la queue! Ils se placent en grappe devant le guichet. Il passent devant vous sans vergogne, sans avoir l'impression de tricher. Il faut jouer des coudes et c'est la loi du plus fort. Une partie de l'explication est peut-être dans le système de castes. De manière générale nous avons aussi remarqué  qu'en Inde les marques de politesse que nous utilisons habituellement et qui sont destinées à  mettre un peu d'huile dans les rapports humains, ne sont pas employées. On vous accueille souvent sans bonjour, le merci est superflu et le au revoir inutile. Ils semblent y être insensibles. Les relations sociales nous paraissent plus "brutes", il faut un peu de temps pour s'y habituer mais on s'y fait.
 
A Delhi, nous nous sentons bien plus à l'aise que la première fois ce qui nous permet de profiter pleinement de la ville. Nous nous promenons détendus. Nous avons beaucoup moins de difficulté à faire lâcher prise à tous ces Indiens qui veulent nous vendre quelque chose ou nous attirer dans leur boutique. Négocier un rickshaw est devenu un jeu d'enfant. Nous mangeons souvent dans les toutes petites dhabas dans lesquelles nous n'aurions rien pu avaler il y a deux mois. Et c'est là que nous préférons manger avec les Indiens et avec les doigts.
Nous avons passé une soirée dans Old Delhi, dans le quartier musulman de la mosquée Jama. Ah, les musulmans, qu'est-ce qu'ils cuisinent bien! Les plats, les pâtisseries... Qu'est-ce-que leurs marchés sont beaux et colorés! Qu'est-ce-que leur quartier est animé, vivant! Et qu'est-ce que ce serait bien s'il traitaient leurs femmes différemment! On en voit très peu dans les rues dès que la soirée commence et celles que l'on aperçoit sont entièrement voilées.
Tak, avec qui nous avons mangé le premier soir, nous a amené dans un restaurant de "Defence Colony", le quartier des "expats". Étonnant ce quartier qui aurait pu être n'importe où en Occident : mobilier moderne et élégant, carte de bières internationales. Heureusement, dans l'assiette, la cuisine est indienne et savoureuse.
Pour aller chez Tak, nous avons pris un rickshaw. Jusque là, rien d'original pour Delhi. Mais ce chauffeur-là était vraiment déjanté. Il nous a pris alors qu'il avait déjà derrière lui une sympathique québécoise avec qui nous avons tenté d'échanger quelques mots. Mais impossible, dès que nous commencions à parler français, le chauffeur nous interrompait pour nous demander de lui apprendre le français, pour dire aux filles qu'il les aimait. En passant près d'un buisson à 60 à l'heure, il a arraché une poignée de fleurs et nous en a offert une à chacun. Pour nous interrompre, il avait aussi une autre méthode, allumer brusquement et à fond son autoradio, que dis-je, son richshaw radio, un équipement pas du tout de série. Il l'arrêtait ensuite tout aussi brusquement. Brusque, c'est aussi ce qui caractérisait sa conduite : fortes accélérations, freinages tardifs, coups de volant violents. En chemin, il a fait une pause pour acheter 500g de biryani (riz épicé et savamment aromatisé); il a tenté d'en faire une seconde pour faire le plein mais a compris qu'il ne valait mieux pas s'il voulait que nous restions dans le rickshaw. Et finalement, nous sommes arrivés à destination.

Après quatre jours dans la capitale, nous quittons à nouveau Delhi en train: le Kerala Express qui traverse l'Inde du Nord au Sud doit nous conduire à Cochin. Pour l'enregistrement des vélos, heureusement que nous sommes rompus à l'exercice car le préposé aux bagages est obtu. Pour une histoire de plaque indiquant la destination, et que l'on nous avait toujours fournie jusqu'à présent, nous allons manquer de rater le train. Moyennant 50 roupies, un porteur résout notre problème et confectionne la fameuse plaquette à partir d'une canette de bière. Enfin, quand le train s'ébranle, nos vélos son bien rangés dans le wagon de marchandises et nous sommes bien installés dans une voiture de classe 2AC (juste après la première sachant qu'en Inde, il y a 6 classes). Vu que nous partions pour deux jours et deux nuits de train, et que nous voulions pouvoir brancher notre petit ordinateur pour faire avancer le site, nous avons opté pour du confort. Même si, en définitive pour l'électricité il faut aller dans le wagon d'à coté, nous ne sommes pas déçus, nous sommes au large, seulement quatre couchettes dans notre compartiment.
Près de 48 heures dans un train, c'est une expérience assez inhabituelle pour nous, bien plus courante pour les Indiens. Tous leurs trains grandes lignes partent pour plusieurs jours. Évidement, les distances ne sont pas les même mais en plus, les locomotives prennent leur temps, il ne faut pas se fier à leur petit nom "Express", elles font de longues pauses dans les gares. Cela nous laisse du temps pour deviser avec les différents voisins qui se succédent. Tout d'abord, un homme politique, facilement reconnaissable car en Inde, ils sont vêtus de blanc de la tête au pieds, le blanc symbolisant la pureté(!). Pas très loquace ce sexagénaire qui à l'air de nous prendre de haut. Il est ensuite remplacé par un quinquagénaire bien en chair qui n'arrête pas de tousser et d'éructer bruyamment. Pourvu qu'il n'est pas la grippe H1N1... Il tente de nous convaincre d'aller passer quelque temps dans l'ashram (retraite communautaire) de Matha Amrithanandamayi couramment appelée "Ama" (maman), une des rares femmes gourous  en Inde. Apparemment, il fait parti de ses disciples, pendant son sommeil, il gémit son nom : "Ama, ah, Ama!". Un jeune étudiant en mécanique passe aussi une soirée en face de nous. Mais celui avec qui nous avons lié le plus de contact est un militaire charismatique d'une cinquantaine d'années qui paraît avoir un poste important au quartier général à Delhi. Il fait presque le même trajet que nous avec sa femme, son fils de 15 ans et sa fille de 12 ans. Quelques années plutôt, il était navigateur dans les avions militaires de transport de troupes et de matériel. Pendant une période, il a beaucoup survolé le Ladakh. Tout les jours, il participait à des largages de vivres sur le glacier Siachen où l'Inde est en guerre "sans fin" avec le Pakistan. Le plus haut champ de bataille du monde. Nous parlons du Ladakh en général, des routes, des paysages qu'il connaît bien aussi car il est originaire du Kashmir voisin. Il nous fait remarquer que notre voyage va donner du sens à beaucoup d'évènements géopolitiques dont nous entendrons parler une fois que nous serons rentrés. De temps en temps, ses enfants nous montrent notre progression sur une carte de l'Inde, ils suivent gare par gare. Nous sommes impressionnés car, à leurs ages, ils parlent déjà un anglais impeccable.
 
Dehors de plus en plus de cocotiers, nous n'allons pas tarder à sortir de cette bulle.