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Au Karnataka, les carnes attaquèrent

Du 30 septembre au 12 octobre,

Au beau milieu de ce sanctuaire de la vie sauvage qui s'étend sur trois états (Kerala, Tamil Nadu et Karnataka), la traversée d'un petit cours d'eau marque notre passage dans le Karnataka. Aucune habitation autour de nous, pas d'Indiens au bord de la route, l'ambiance est extrêmement reposante. Nous avançons lentement dans cette forêt en observant avec curiosité la végétation luxuriante qui nous entoure, bien différente de celle qui pousse à nos latitudes. Anne-Marie reconnaît une plante que sa grand mère avait qualifiée de "sensible" car elle replie ses feuilles quand on la touche.
 
 
Plante "sensible"
 
Plus loin, un passage dans la forêt a été fraichement piétiné et d'énormes crottes gisent à côté des empreintes : des éléphants sauvages ont dû traverser cette nuit! Ci et là, les termites ont bâti pour se loger d'étranges constructions de terre séchée qui peuvent s'élever jusqu'à plus d'un mètre du sol.
 
Termitière de l'extérieur et de l'intérieur
 
 
L'heure du repas arrive et ils nous reste encore plus d'une trentaine de kilomètres à parcourir dans cette forêt où nous sommes isolés. Régulièrement des panneaux rappellent qu'il faut être discret et qu'on ne doit pas pique-niquer. Et pourtant, il faut bien qu'on mange... Nous décidons de braver l'interdiction et de nous arrêter pique-niquer dès que nous trouverons un coin peu à l'écart de la route. Nous sommes bien dans un sanctuaire, les chemins de traverse sont rares. Heureusement, après dix kilomètres une esquisse de sentier nous conduit dans une clairière à l'abri des regards de la route. De la route oui, mais des animaux sauvages, nous n'en savons rien! Qui nous dis qu'un tigre n'est pas en train de nous observer. Dans ces moments là, on se monte toujours un peu le "bourrichon". Enfin, nous cuisinons rapidement nos "noodle soups" et repartons. Nous finissons par sortir de la forêt et continuons dans un paysage de campagne où les indigènes se livrent à une étrange activité à même la route. Pour sortir les grains de leur balle, ils étendent une bonne couche des épis qu'ils ont coupés et fait sécher sur la chaussée et laissent les véhicules rouler dessus et jouer le rôle de fléau. Ensuite, ils n'ont plus qu'à enlever les épis vides et qui se retrouvent en surface et à balayer les grains pour les ramasser.
 
 
Drôle de fléau!

 
Au bord de la route, un immense arbre attire notre attention : il est habité! Tout d'abord, nous identifions de grosses masses noires comme des essaims d'abeilles ou de guêpes. Plus haut dans le feuillage, un grand nombre de chauve souris sont pendues la tête en bas. De temps à autre l'une d'elle se décroche pour aller croquer une des innombrables libellules qui tournoient autour de l'arbre. Aussitôt après, la chauve souris se suspend à nouveau.
Nous achetons des cacahuètes à un vendeur au bord de la route. Elles n'ont rien à voir avec celles que l'on prend pour l'apéritif. Elles viennent tout juste d'être arrachées, la coque est encore terreuse. La consistance et le goût sont surprenants.
Le lendemain, journée chargée, nous voulons faire un aller retour en bus au parc naturel de Bandipur situé à vingt kilomètres de là et pédaler ensuite jusqu'à Mysore. Le réveil sonne à 5h30 pour que nous puissions attraper l'autocar de 6h. Déception à l'accueil, nous apprenons que la seule activité possible est un tour de trois quart d'heure de bus dans le parc sans garantie de voir des animaux. Les "rides" d'éléphants qui nous avait décidés à choisir ce parc ont été annulés, les pachydermes ayant eu des petits. Depuis la fenêtre de notre bus tout terrain, nous observons : des sambars (mammifères de la famille des cervidés), un tigre -de loin-, des singes barbus, ce que nous croyons être une mangouste (détrompez nous si nécessaire) et un paon, animal emblème de l'Inde. A l'entrée du parc un couple de sangliers, quatre marcassins se promènent, une horde de cerfs paît tranquillement. Bref, nous ne rentrons pas bredouille mais il faut avouer que ce n'est pas le grand frisson et que nous sommes frustrés de ne pas avoir vu d'éléphants. Au retour, par erreur, nous descendons trop tôt du bus. Pas de panique, en Inde, on trouve toujours un moyen de transport: nous finissons le trajet  sur la plate forme d'une micro camionette, puis dans la voiture d'un jeune couple de Bengalore, de retour de vacances dans le parc.
 
 
Sambars
 
 
Antelle
 
 
Mangouste
 
Nous avalons les soixante kilomètres qui nous séparent de Mysore à vive allure. Tout le long de la route, des vendeur de fruits, principalement de noix de coco mais aussi de papayes. Ici, ils les servent coupées en dés délicatement relevées par du massala.
Dès notre entrée dans Mysore, nous sommes séduits par le calme que dégage cette charmante "bourgade" indienne de deux millions d'habitants. La ville paraît étalée, aérée, elle est irriguée par de grandes artères avec de larges trottoirs qui débouchent sur de vastes places. De nombreux espaces verts oxygènent le centre ville. Les mauvaises langues diront que ce n'est pas l'Inde. En fin d'après midi nous déambulons dans les allées du bazar où se succèdent des échoppes plus colorées les unes que les autres : fruits et légumes rangés au cordeau, fleurs qui embaument, bric à brac d'ustensiles de cuisine, vendeurs de riz soufflé que les Indiens utilisent pour les cérémonies religieuses et que nous mangeons humidifié de lait au petit déjeuner (peut être un sacrilège)... Des baratineurs professionels vous persuadent d'acheter de l'encens, des huiles essentielles et de la peinture sur corps.
 
 
Fruits et fleurs du bazar de Mysore
 
Le charme de Mysore vient aussi de ses palais et principalement du "Maharaja Palace" construit en 1912 par la puissante dynastie des Wodeyards en remplacement du palais précédent, ravagé par un incendie. Nos yeux de placerait ce luxueux palais de style indosaracénique (mélange d'architectures moghole et  indienne) et les sultans enturbannés qui y vivaient dans une époque bien lointaine. Mais 1912, on pourrait presque dire que c'était hier : l'architecte du palais est anglais, il a utilisé des matériaux et des techniques du monde entier, l'électricité a même été prévue dès la construction. 
 
 
 
Maharadja Palace
 
Dans le vaste jardin à la française, plusieurs temples hindous gardés par un brahmane (prêtre). Dans tout les temples, il y en a au moins un pour prendre soin de la représentation du dieu du lieu, le réveiller, le laver, lui changer ses vêtements. Ce prêtre s'occupe aussi des visiteurs, leur fait boire de l'eau sacrée, leur donne une fleur, leur place une tikka (point rouge entre les deux yeux symbolisant le troisième œil, situé au niveau du sixième chakra) et surtout récolte leur aumône généreuse. En tant que non hindou, nous n'avons fait tout le cérémonial qu'une fois.
 
 
 
Tika, fleur de Parvati et Fleur de Shiva
 
En quittant Mysore, pendant quelques kilomètres, nous traversons une petite forêt où pousse du bois de santal, essence en voie de disparition. Le Karnataka est une des dernière régions dans le monde où pousse cette espèce. Chaque arbre est désormais protégé et appartient au gouvernement indien. Déception, cette forêt étant composée de pleins d'essences différentes, nous n'avons pas su laquelle était le fameux bois de santal et personne n'a pu nous renseigner. Dans le chapitre des déceptions, il y a aussi les épices que nous avons dégustées à tous les repas mais que nous n'avons pas vu ou que nous n'avons pas su identifier alors que nous traversions une région productrice.
 
Deux jours de vélo nous conduisent à Hallebid où se trouve un temple hindou du XIème siècle construit par la dynastie des Haylasas. Haut d'un étage, vu de haut, il a là forme d'une étoile. Ses murs extérieurs sont couverts de frises finement sculptées qui de superposent les unes aux autres : des éléphants, des lions, des soldats semblent tourner autour du temple. Ces gravures toutes semblables en apparence différent par de nombreux détails : cet éléphant, plus joyeux que les autres a la trompe relevée, cet autre traine et regarde en arrière. Au dessus des frises, des statues de dieux juxtaposées paraissent garder le temple. Le lendemain matin, avant de reprendre les vélos, nous prenons le bus pour Bellur afin de visiter un autre temple de la même époque. Lors de nos échanges de livres*, nous avons dégoté une "introduction à l'hindouisme" qui nous donne quelques connaissances de base sur cette religion et nous présente les principaux dieux avec à l'appui une illustration. Avec ce précieux sésame, tel des détectives, nous tentons d'identifier les dieux figés dans la pierre:
" -Celui-ci a trois têtes.
-Facile, c'est Brahma!
-Celui-là a quatre bras et danse avec une jambe levée.
-C'est Shiva représenté en Nataraja, le roi des danseurs.
-Celui là a une tête de sanglier, et dans ces quatre bras : une roue, une conque, une épée et une massue...
-La tête de sanglier, c'est Varaha, la troisième incarnation de Vishnou! "
Brahma, Vishnou et Shiva composent la triade indoue, ce sont les dieux qui au fil des siècles ont pris le plus d'importance, ils représentent respectivement la création, la conservation et la destruction. Ces temples prennent une autre dimension quand on connaît un peu mieux les dieux Hindous et les mythes et légendes qui leurs sont associés.
 
* Echanges de livres: Dans les lieux touristiques, on peut trouver des échoppes de livres d'occasion. Elles nous permettent d'échanger nos livres contre d'autres, laissés par de précédents voyageurs. Le choix est maigre, surtout pour les livres en français mais cela nous permet d'avoir de la lecture et puis, nous avons souvent de bonnes surprises avec ces bouquins que nous n'aurions jamais lu si l'offre avait été plus vaste.
 
 
Détail d'une frise du temple d'Hallebid: deux des éléphants se tiennent par la trompe.
 
 
 
Narasimha, quatrième incarnation de Vishnou est à la fois homme (nara) et lion (simha), on le représente souvent en train de déchirer les entrailles du roi démon Hiranya-Kasipu.
Vishnou s'est réincarné neuf fois au total, à chaque fois pour sauver le monde d'un danger qui le menaçait...
 

 
Dans le Karnataka, de Mysore à Chitradurga, nous avons pris d'agréables chemins de traverse et des petites routes pour profiter à fond de la campagne du sud de l'Inde si différente de ce que nous avions vu jusque- là. Ici, il fait chaud et l'eau ne manque pas, ce qui semble convenir parfaitement à la végétation et aux cultures. La nature, à travers la large palette de verts vifs et tendres, dégage une impression de force, de vie, elle paraît à son aise.
 
Verte campagne du Karnataka

 
Près des nombreux lacs -artificiels ou non- qui scintillent, s'étalent les rizières dans leur habit vert fluo. Un peu plus loin, des cultures qui nécessitent un peu moins d'eau. Beaucoup nous sont inconnues, mais pas le maïs (une spécialiste qui se reconnaîtra ne me le pardonnerait pas ;-)) qui a souvent dans ses champs des rangée de cocotiers pour se protéger du soleil. Les cocotiers, ils sont omniprésents, en forêt, en bosquet ou isolés. Dans ces contrées, peu de tracteurs, celle qui joue leur rôle, c'est la vache à bosse; elle tire les charrues dans les champs, et les charrettes sur la route. Sa robe est claire, sa démarche élégante et ses cornes élancées vers l'arrière, lui donne une certaine majesté. Le long des routes nous croisons aussi des femmes vêtues de saris aux couleurs chatoyantes qui portent sur leur tête de lourds fardeaux.
 
 
 
Labour
 
 
 
Deux lavandières

 
Chaque fois que nous arrivons dans un village, nous sommes l'attraction. Ne pouvant compter sur notre carte approximative et inexacte nous devons demander ou nous faire confirmer la direction et le nombre de kilomètres jusqu'à la prochaine ville. Sans que nous comprenions pourquoi, certaine fois, une foule dense s'agglutine autour de nous, chacun voulant nous aider. Dans d'autres cas, nous sentons que tout les yeux du village nous épient mais personne ne s'approche.
 
 
"Il fait trop chaud pour brouter" pensent les buffles

 
Après Chitradurga, pour accélérer le mouvement, nous reprenons une "National Highway" (qui correspondrait en France à une nationale). Pas de chance, la route est en très mauvaise état : slalom géant entre les ornières obligatoire, goudron en pointillé. Et vu que c'est un grand axe, beaucoup de camions qui nous doublent les uns après les autres en nous gratifiant tous d'un bon coup de klaxon. De quoi finir sourd à la fin de la journée. On reste quand même sur cette route car, c'est de loin la plus courte et c'est tout droit jusqu'à destination. Les vingt derniers kilomètres sont particulièrement pénibles. Le goudron a complètement disparu, nous roulons sur une route empierrée et défoncée dont les bords s'effritent. Les véhicules soulèvent des nuages de poussières qui nous font suffoquer. La circulation s'est densifiée et ce n'est que des poids lourds qui roulent vite et doublent n'importe comment, nous obligeant plusieurs fois à nous mettre sur le bas côté pour ne pas nous faire écrabouiller. Le pompon revient aux chauffeurs des énormes camions de chantiers qui au milieu de ce grand bazar font la course en conduisant comme des pilotes de rallye. Nous sommes soulagés quand nous arrivons à Hospet (à 12km d'Hampi), 130 km au compteur, la plus grosse étape depuis que nous sommes parti de France alors qu'hier déjà nous avions parcouru 100km. Elles étaient en forme nos montures, dans le Karnata les carnes attaquèrent (désolé...).  Demain, grasse mat'!

Le lendemain, après avoir passer une bonne partie de la journée à élaborer une stratégie pour obtenir un billet de train pour le Gujarat où nous devons prendre le bateau, nous effectuons en fin d'après midi, à la fraiche, les 12 km qui nous séparent d'Hampi.
 
 
 
Blocs, bananiers et cocotiers
 
Ce site, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO est fascinant pour deux raisons principales. Il offre un paysage unique d'énormes boules de granite, de rizières, de champs de bananiers et il abrite les ruines de l'ancienne cité de Vijayanagar, capitale d'un puissant empire hindou, fondée en 1336. Au XIV ème siècle, l'alliance des royaumes hindous dominé par celui de Vijayanagar tentait de contrer la menace des sultanats musulmans. La cité, entourée de sept rangs de fortifications s'étendait sur 650 hectares et abritait plus de 500 000 personnes. Dans ses bazars convergeaient des marchands venus de tous horizons. En 1565, les sultanats musulmans ont fini par l'emporter et ont mis à sac la cité.
 
 
Visite du temple sous-terrain de Virupaksha

 
Nous avons passée une journée à nous promener en vélo dans les ruines de Vijayanagar, allant du temple de Vittala aux bains de la reine, du Sule Bazar à la statue de Ganesh, affinant nos connaissances sur les histoires hindoues. Quelques mots sur Ganesh, un des dieux les plus sympathiques d'Inde. D'un caractère bienveillant, il protège le foyer et assure le succès des commerçants et des voyageurs. Il est facilement reconnaissable car il a une tête d'éléphant. Selon une des légendes, Parvati, l'épouse de Shiva, un des dieux de la triade hindoue, l'aurait créé à partir d'un morceau de sa chair pour monter la garde devant sa porte pendant qu'elle se baignait. Comme Ganesh l'empêchait d'entrer, Shiva, furieux lui coupa la tête. Mais, quand il vit la détresse de sa femme, il répara son erreur en décidant que Ganesh prendrait la tête du premier être qu'il rencontrerait. Ce fut un éléphant!
 
 
Ganesh

 
 
Rizières
 
Le jour suivant nous nous sommes promenés dans les rizières et dans les blocs, nos chaussons d'escalade dans le sac à dos. Hampi est en effet le site d'escalade de blocs le plus connu d'Inde. Mais faire du bloc, ça ne s'improvise pas et nous ne sommes pas vraiment des spécialistes. Néanmoins nous nous sommes fait plaisir en grimpant sur un joli bloc au coucher du soleil. Cela marquait la fin de notre remontée du sud de l'Inde et le lendemain nous sommes retournés à Hospet prendre le train pour Ahmedabad.
Les grimpeurs font leur cinéma