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L'été indien à Tunis

14 au 20 novembre,

Il est 23h quand nous descendons du ferry à La Goulette. Le port est loin du centre de Tunis et nous suivons les conseils des douaniers qui nous ont indiqué un hôtel à deux pas. Le lendemain matin, le soleil qui entre dans la chambre à travers les rideaux nous réveille. Nous avons la sensation d'être en vacances. Par la fenêtre, nous voyons la Méditerranée qui vient caresser une plage sans fin. Des guirlandes de drapeaux de la Tunisie décorent les rues. On apprendra plus tard que l'anniversaire de l'élection du président Ben Ali vient d'être fêté.
 
 
 
Vue de la fenêtre
 
Nous avons toute la journée devant nous; nous ne devons retrouver Karim, notre hôte couch surfeur, que le soir. Nous flânons sur la côte. Nous traversons les ruines de ce qu'était le centre de Carthage, une des rivales de Rome. Nous observons notamment le bassin circulaire du port où étaient amarrés les navires puniques. Ces ruines sont maintenant disséminées dans un quartier chic où se succèdent les belles villas entourées de murs d'où débordent des bougainvilliers de toutes les couleurs et des jasmins odorants. Plus loin, nous longeons le palais présidentiel. Pour que nous ne soyons pas trop proche de l'enceinte, les gardes nous ordonnent de rouler sur la gauche de la route. Ben Ali est un dictateur élu dans un simulacre de démocratie (il a été réélu pour son cinquième mandat consécutif en octobre 2009 avec 90% des suffrages).  Nous comprenons vite que c'est la personne à ne pas froisser quand on veut faire des affaires en Tunisie. Son portrait est omniprésent dans les rues, sur les façades et dans tous les commerces. Et ce n'est pas seulement parce que c'est l'anniversaire de son élection. Cela nous rappelle le culte de la personnalité d'Atatürk en Turquie ou des ayatollahs en Iran.
 
 
 
Big Brother: Ben Ali
 
 
 
Vraiment omniprésent
 
Nous arrivons par hasard dans le quartier touristique de Sidi Bou Saïd perché sur une colline avec vue sur le golfe de Tunis. Le bleu des volets et des ferronneries des maisons blanches rivalise avec celui du ciel.
 
 
Dans le quartier de Sidi Bou Saïd

 
Le soleil se couche, nous retrouvons Karim, un trentenaire bon vivant qui vit dans un appartement moderne dans le quartier des berges du lac de Tunis. Il y a quelques années, des Saoudiens ont investi en Tunisie, ils ont asséché le marécage qui se trouvait là et fait sortir de terre des immeubles d'habitations des boutiques et des bureaux. Détail amusant, ils ont imposé que dans ce quartier, on ne puisse pas acheter d'alcool ni dans les bars, ni dans les commerces. Néanmoins, plus loin, on peut en trouver et Karim nous accueille avec une bonne bouteille de vin tunisien. Il travaille pour un entreprise pétrolière américaine en tant que responsable du parc informatique. Il va à pieds au bureau. Le matin, nous sortons en même temps que lui et partageons une de ses habitudes "le capucin": un petit cappuccino qu'il prend dans un café en bas de son immeuble.
 
 
Et trois capucins!

 
Nous nous séparons ensuite. Lui va vers son boulot et nous vers Tunis en vélo par l'autoroute, une quinzaine de kilomètres pas très plaisants...
Nous trouvons un billet d'avion vers Bamako et non Ouagadougou comme nous l'aurions souhaité... Question de coût. Nous faisons les démarches pour notre visa malien. Le personnel de l'ambassade est sympathique et serviable. Cela laisse augurer un bon séjour là bas!
Nous déambulons dans la Médina. Dans ses rues étroites et surpeuplées, nos vélos n'ont pas leur place, nous le comprenons très vite. Nous les laissons à l'entrée, au pied de la "porte de France" sous l'œil vigilant de policiers. En Tunisie, le touriste est roi: la police, qui ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre aux habitants, est à ses petits soins et lui pardonne toutes ses petites infractions. Ce qui est vrai pour le touriste ne l'est pas pour l'étranger qui vient travailler en Tunisie. Nous déjeunons avec un Madrilène qui donne des cours à l'université. Il nous explique que lui et sa copine sont surveillés de près. Des inconnus viennent à ses cours. Leur portables sont sur écoute. Comment le savent-ils? De temps à autres, quand ils décrochent, ils tombent sur la personne chargée de les espionner. Selon lui, cette surveillance s'étend à l'ensemble de la population. Il y a un grand nombre de policiers aidés par de nombreux "indics", des civils qui leur rapportent ce qu'ils entendent. Gare aux langues déliées! Il vaut mieux parler foot que politique. Et face à ce système, les Tunisiens sont sans réaction, apathiques. La bride est-elle tenu trop court ou est-ce parce économiquement la situation n'est pas si mauvaise qu'ils s'accommodent de ce système chapeauté par Ben Ali?
La condition de la femme en Tunisie nous parait meilleure que dans beaucoup d'autres états musulmans.  C'est un héritage de la politique progressiste de Bourguiba, le premier président tunisien de 1957 à 1987. Il a interdit la polygamie, autorisé le divorce et légalisé l'avortement avant la France. En ville les femmes ne portent généralement pas le voile, beaucoup étudient et travaillent. La communication entre hommes et femmes est beaucoup plus libre. Cependant notre professeur nous dit que la situation des jeunes femmes vue de l'intérieur des familles n'est pas si libérée: il nous parle des mariages arrangés, trois de ses étudiantes ont abandonné subitement l'université parce qu'on les a mariées parfois à quelqu'un de 30 ans plus agés.
Le soir, nous poursuivons ces discussions avec Karim, chez lui, autour d'une bouteille de vin local, accompagné de pain de fromage et de harissa (biensûr!).
Nous repartons avec lui dans le quartier de Sidi Bou Saïd pour flâner et prendre des photos, une des passions de Karim. Anne-Marie et lui essaient de capturer les reflets des réverbères oranges sur les pavés luisants. Nous nous arrêtons fumer le narguilé, encore un doux moment d'échange. Nous parlons musique, littérature. Karim nous prête "le retour de l'éléphant", un best seller tunisien. C'est une fiction humoristique: l'auteur -Abdelaziz Belkhodja- y imagine un monde en 2103 où la République de Carthage a retrouvé sa puissance d’il y a plus de deux millénaires, tandis que l’Occident - Europe comme Etats-Unis – s’est effondré. Carthage est le centre du monde et le Occidentaux rêvent d'y émigrer clandestinement...
 
 
Capture des reflets oranges

 
Après ces quelques jours passés à Tunis, nous nous envolons vers Bamako avec la petite appréhension de l'inconnu mélée à l'exitation de la découverte. Conflits de sentiments classique du voyage.