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Gujarat Express

Du 13 au 15 octobre,

Ahmedabad, cinq millions d'habitants, est la ville la plus importante du Gujarat. Elle a été fondée par Ahmed Shah, un sultan musulman. Elle s'étend autour de la rivière Sabarmati et présente deux visages : sur une rive la face historique et sur l'autre un profil plus moderne.

 Rue d'Ahmedabad / La rivière Sabarmati n'est pas très ragoutante.

Nous profitons un matin d'une visite guidée du centre ville historique. Elle débute dans le temple de Swaminarayan à l'heure de la puja. Au son des tambours, des cloches et des trompettes les hindous se massent mains jointes devant les statues des dieux. Les hommes et les femmes sont séparés. La ferveur est palpable.

 

 Temple de Swaminarayan

 

 

Nous déambulons dans les ruelles étroites de la ville. Notre guide nous montre différents styles d'architecture qui se côtoient. Sur une fenêtre un chapiteau typiquement moghol, ces raisins en bois sculptés sont persans, cette maison de briques est anglaise of course, et ces visages enturbannés en stuc proviennent du Maharastra (état au sud du Gujarat dont la capitale est Mumbay)...

 

 Pour remplacer les nombreux arbres qu'ils avaient coupés, les premiers habitants d'Ahmedabad ont construit ces mangeoires à oiseaux, aujourd'hui beaucoup d'écureuils en profitent

 

Jadis, beaucoup de rues du centre étaient des culs de sacs dont l'entrée étaient fermée par une porte surmontée d'une vigie où un concierge veillait. Ces impasses qui portent le nom de "pols" s'organisaient en communautés. Un grand tableau noir servait à noter les messages. Chaque pol avait son temple ou sa mosquée. La ville en compte plusieurs milliers! La religion majoritaire, comme dans tout le Gujarat est le jaïnisme. Nous visitons plusieurs temples jaïns mais il est interdit d'y prendre des photos.

 

 Entée d'un"pol".

 

Le jaïnisme est la plus ancienne philosophie-religion du monde, elle remonte à la haute antiquité (plus de 3500 ans avant JC) et elle est toujours pratiquée par 4 à 8 millions d’individus majoritairement en Inde mais aussi en Angleterre et aux États Unis. Le jaïnisme est  basée sur "ahinsa", un principe de non violence envers les hommes et tous les animaux. Pour cette raison, les jaïns sont strictement végétariens. Ils vont même bien plus loin; ils ne mangent pas de racines car ils on pourraient causer du mal à un animal en les déterrant; ils ne portent ni cuir, ni fourrure, ni soie... En respectant de manière ascétique ce principe et d'autres qui en découlent (ne pas mentir, ne pas voler, pas d'impureté sexuelle, pas d'avidité,...), les jaïns espèrent réussir à libérer leurs âmes, à briser le cycle des réincarnations. Ils ne croient pas en un dieu créateur. Ils ne sont pas pour autant athées : ils ne croient pas en dieu mais croient en la divinité. Pour eux, les seules formes divines sont des hommes qui ont réussis à s'"éveiller". Il y a beaucoup de similitudes avec le bouddhisme et l'hindouisme.  Siddartha Gautama (Bouddha) aurait d'ailleurs été un adepte jaïn, avant de fonder sa propre religion.
Dans leur temple, de nombreuses statues semblables à des bouddhas "extra terrestres", tout blanc avec des cristaux incrustés dans le corps, sur les yeux, les seins, le nombril... Ils font peur ces éveillés.

Moult passages plus ou moins secrets permettent d'aller d'un pol à un autre. Nous débouchons sur un marché où les étals d'épices, de fruits secs et de confiserie rivalisent de couleurs. Notre visite se termine dans la mosquée d'Ahmed Shah.

La mosquée d'Ahmed Shah

Musulman lisant des versets du coran

 

Nous passons l'après-midi dans l'ashram Sabarmati fondé par Gandhi en 1915. Le mahatma est un enfant du pays, il est né dans le Gujarat, à Portanbar. Cet ashram lui servit de QG durant sa longue bataille pour l'indépendance de l'Inde. C'est de là qu'il débuta la fameuse marche du sel en 1930. Il partit à pied pour protester contre l'impôt sur le sel prélevé injustement par les Anglais. Le lieu est reposant et instructif. La maison où vivait Gandhi subsiste encore. Nous ressentons l'atmosphère ascétique qui y régnait, dans la pièce où il vivait, le mobilier est minimaliste : une table basse et de quoi écrire, une natte et un coussin et un rouet pour filer le coton. Ne pas dépendre de l'importation pour se vêtir, ce fut un autre de ses combats : assez de coton pousse en Inde pour habiller les Indiens sans acheter des vêtement à l'étranger. Lui, il n'avait que deux tenues en coton filés par ses soins, il n'avait besoin de la deuxième que quand il devait laver la première.

 Démonstration de filage de coton

Maison où logeait Gandhi

 Panneau rappelant la multiplicité des religions coexistant en Inde: musulmans, hindous, bouddhistes,sikhs, parsis (zoroastriens), chrétiens et juifs.

 

Ce soir là, quand nous ouvrons notre boite mail, panique à bord, l'agent de la CMA CGM (la compagnie de cargo) de Mundra et de Mumbay, le "freighter agent" qui a organisé notre montée à bord et nos parents qui ont été prévenus nous préviennent qu'on ne va pas pouvoir embarquer à Mundra à cause d'un durcissement des règles imposées par le service d'immigration du port, situé non loin de la frontière pakistanaise. Il faut que nous allions d'urgence à Mumbay où notre bateau doit arriver dans deux jours. Tous ce que nous avions prévu pour les jours à venir dans le Gujarat tombe à l'eau, nous somme déçus nous nous étions concocté un programme du tonnerre. En plus nous allons rater Diwali, le nouvel an hindou qui est dans trois jours, une date festive où tous le indiens partagent des confiseries. Le lendemain, nous prenons contact avec la compagnie et prenons un billet de train pour Mumbay pour le soir même.

 

 

Au Karnataka, les carnes attaquèrent

Du 30 septembre au 12 octobre,

Au beau milieu de ce sanctuaire de la vie sauvage qui s'étend sur trois états (Kerala, Tamil Nadu et Karnataka), la traversée d'un petit cours d'eau marque notre passage dans le Karnataka. Aucune habitation autour de nous, pas d'Indiens au bord de la route, l'ambiance est extrêmement reposante. Nous avançons lentement dans cette forêt en observant avec curiosité la végétation luxuriante qui nous entoure, bien différente de celle qui pousse à nos latitudes. Anne-Marie reconnaît une plante que sa grand mère avait qualifiée de "sensible" car elle replie ses feuilles quand on la touche.
 
 
Plante "sensible"
 
Plus loin, un passage dans la forêt a été fraichement piétiné et d'énormes crottes gisent à côté des empreintes : des éléphants sauvages ont dû traverser cette nuit! Ci et là, les termites ont bâti pour se loger d'étranges constructions de terre séchée qui peuvent s'élever jusqu'à plus d'un mètre du sol.
 
Termitière de l'extérieur et de l'intérieur
 
 
L'heure du repas arrive et ils nous reste encore plus d'une trentaine de kilomètres à parcourir dans cette forêt où nous sommes isolés. Régulièrement des panneaux rappellent qu'il faut être discret et qu'on ne doit pas pique-niquer. Et pourtant, il faut bien qu'on mange... Nous décidons de braver l'interdiction et de nous arrêter pique-niquer dès que nous trouverons un coin peu à l'écart de la route. Nous sommes bien dans un sanctuaire, les chemins de traverse sont rares. Heureusement, après dix kilomètres une esquisse de sentier nous conduit dans une clairière à l'abri des regards de la route. De la route oui, mais des animaux sauvages, nous n'en savons rien! Qui nous dis qu'un tigre n'est pas en train de nous observer. Dans ces moments là, on se monte toujours un peu le "bourrichon". Enfin, nous cuisinons rapidement nos "noodle soups" et repartons. Nous finissons par sortir de la forêt et continuons dans un paysage de campagne où les indigènes se livrent à une étrange activité à même la route. Pour sortir les grains de leur balle, ils étendent une bonne couche des épis qu'ils ont coupés et fait sécher sur la chaussée et laissent les véhicules rouler dessus et jouer le rôle de fléau. Ensuite, ils n'ont plus qu'à enlever les épis vides et qui se retrouvent en surface et à balayer les grains pour les ramasser.
 
 
Drôle de fléau!

 
Au bord de la route, un immense arbre attire notre attention : il est habité! Tout d'abord, nous identifions de grosses masses noires comme des essaims d'abeilles ou de guêpes. Plus haut dans le feuillage, un grand nombre de chauve souris sont pendues la tête en bas. De temps à autre l'une d'elle se décroche pour aller croquer une des innombrables libellules qui tournoient autour de l'arbre. Aussitôt après, la chauve souris se suspend à nouveau.
Nous achetons des cacahuètes à un vendeur au bord de la route. Elles n'ont rien à voir avec celles que l'on prend pour l'apéritif. Elles viennent tout juste d'être arrachées, la coque est encore terreuse. La consistance et le goût sont surprenants.
Le lendemain, journée chargée, nous voulons faire un aller retour en bus au parc naturel de Bandipur situé à vingt kilomètres de là et pédaler ensuite jusqu'à Mysore. Le réveil sonne à 5h30 pour que nous puissions attraper l'autocar de 6h. Déception à l'accueil, nous apprenons que la seule activité possible est un tour de trois quart d'heure de bus dans le parc sans garantie de voir des animaux. Les "rides" d'éléphants qui nous avait décidés à choisir ce parc ont été annulés, les pachydermes ayant eu des petits. Depuis la fenêtre de notre bus tout terrain, nous observons : des sambars (mammifères de la famille des cervidés), un tigre -de loin-, des singes barbus, ce que nous croyons être une mangouste (détrompez nous si nécessaire) et un paon, animal emblème de l'Inde. A l'entrée du parc un couple de sangliers, quatre marcassins se promènent, une horde de cerfs paît tranquillement. Bref, nous ne rentrons pas bredouille mais il faut avouer que ce n'est pas le grand frisson et que nous sommes frustrés de ne pas avoir vu d'éléphants. Au retour, par erreur, nous descendons trop tôt du bus. Pas de panique, en Inde, on trouve toujours un moyen de transport: nous finissons le trajet  sur la plate forme d'une micro camionette, puis dans la voiture d'un jeune couple de Bengalore, de retour de vacances dans le parc.
 
 
Sambars
 
 
Antelle
 
 
Mangouste
 
Nous avalons les soixante kilomètres qui nous séparent de Mysore à vive allure. Tout le long de la route, des vendeur de fruits, principalement de noix de coco mais aussi de papayes. Ici, ils les servent coupées en dés délicatement relevées par du massala.
Dès notre entrée dans Mysore, nous sommes séduits par le calme que dégage cette charmante "bourgade" indienne de deux millions d'habitants. La ville paraît étalée, aérée, elle est irriguée par de grandes artères avec de larges trottoirs qui débouchent sur de vastes places. De nombreux espaces verts oxygènent le centre ville. Les mauvaises langues diront que ce n'est pas l'Inde. En fin d'après midi nous déambulons dans les allées du bazar où se succèdent des échoppes plus colorées les unes que les autres : fruits et légumes rangés au cordeau, fleurs qui embaument, bric à brac d'ustensiles de cuisine, vendeurs de riz soufflé que les Indiens utilisent pour les cérémonies religieuses et que nous mangeons humidifié de lait au petit déjeuner (peut être un sacrilège)... Des baratineurs professionels vous persuadent d'acheter de l'encens, des huiles essentielles et de la peinture sur corps.
 
 
Fruits et fleurs du bazar de Mysore
 
Le charme de Mysore vient aussi de ses palais et principalement du "Maharaja Palace" construit en 1912 par la puissante dynastie des Wodeyards en remplacement du palais précédent, ravagé par un incendie. Nos yeux de placerait ce luxueux palais de style indosaracénique (mélange d'architectures moghole et  indienne) et les sultans enturbannés qui y vivaient dans une époque bien lointaine. Mais 1912, on pourrait presque dire que c'était hier : l'architecte du palais est anglais, il a utilisé des matériaux et des techniques du monde entier, l'électricité a même été prévue dès la construction. 
 
 
 
Maharadja Palace
 
Dans le vaste jardin à la française, plusieurs temples hindous gardés par un brahmane (prêtre). Dans tout les temples, il y en a au moins un pour prendre soin de la représentation du dieu du lieu, le réveiller, le laver, lui changer ses vêtements. Ce prêtre s'occupe aussi des visiteurs, leur fait boire de l'eau sacrée, leur donne une fleur, leur place une tikka (point rouge entre les deux yeux symbolisant le troisième œil, situé au niveau du sixième chakra) et surtout récolte leur aumône généreuse. En tant que non hindou, nous n'avons fait tout le cérémonial qu'une fois.
 
 
 
Tika, fleur de Parvati et Fleur de Shiva
 
En quittant Mysore, pendant quelques kilomètres, nous traversons une petite forêt où pousse du bois de santal, essence en voie de disparition. Le Karnataka est une des dernière régions dans le monde où pousse cette espèce. Chaque arbre est désormais protégé et appartient au gouvernement indien. Déception, cette forêt étant composée de pleins d'essences différentes, nous n'avons pas su laquelle était le fameux bois de santal et personne n'a pu nous renseigner. Dans le chapitre des déceptions, il y a aussi les épices que nous avons dégustées à tous les repas mais que nous n'avons pas vu ou que nous n'avons pas su identifier alors que nous traversions une région productrice.
 
Deux jours de vélo nous conduisent à Hallebid où se trouve un temple hindou du XIème siècle construit par la dynastie des Haylasas. Haut d'un étage, vu de haut, il a là forme d'une étoile. Ses murs extérieurs sont couverts de frises finement sculptées qui de superposent les unes aux autres : des éléphants, des lions, des soldats semblent tourner autour du temple. Ces gravures toutes semblables en apparence différent par de nombreux détails : cet éléphant, plus joyeux que les autres a la trompe relevée, cet autre traine et regarde en arrière. Au dessus des frises, des statues de dieux juxtaposées paraissent garder le temple. Le lendemain matin, avant de reprendre les vélos, nous prenons le bus pour Bellur afin de visiter un autre temple de la même époque. Lors de nos échanges de livres*, nous avons dégoté une "introduction à l'hindouisme" qui nous donne quelques connaissances de base sur cette religion et nous présente les principaux dieux avec à l'appui une illustration. Avec ce précieux sésame, tel des détectives, nous tentons d'identifier les dieux figés dans la pierre:
" -Celui-ci a trois têtes.
-Facile, c'est Brahma!
-Celui-là a quatre bras et danse avec une jambe levée.
-C'est Shiva représenté en Nataraja, le roi des danseurs.
-Celui là a une tête de sanglier, et dans ces quatre bras : une roue, une conque, une épée et une massue...
-La tête de sanglier, c'est Varaha, la troisième incarnation de Vishnou! "
Brahma, Vishnou et Shiva composent la triade indoue, ce sont les dieux qui au fil des siècles ont pris le plus d'importance, ils représentent respectivement la création, la conservation et la destruction. Ces temples prennent une autre dimension quand on connaît un peu mieux les dieux Hindous et les mythes et légendes qui leurs sont associés.
 
* Echanges de livres: Dans les lieux touristiques, on peut trouver des échoppes de livres d'occasion. Elles nous permettent d'échanger nos livres contre d'autres, laissés par de précédents voyageurs. Le choix est maigre, surtout pour les livres en français mais cela nous permet d'avoir de la lecture et puis, nous avons souvent de bonnes surprises avec ces bouquins que nous n'aurions jamais lu si l'offre avait été plus vaste.
 
 
Détail d'une frise du temple d'Hallebid: deux des éléphants se tiennent par la trompe.
 
 
 
Narasimha, quatrième incarnation de Vishnou est à la fois homme (nara) et lion (simha), on le représente souvent en train de déchirer les entrailles du roi démon Hiranya-Kasipu.
Vishnou s'est réincarné neuf fois au total, à chaque fois pour sauver le monde d'un danger qui le menaçait...
 

 
Dans le Karnataka, de Mysore à Chitradurga, nous avons pris d'agréables chemins de traverse et des petites routes pour profiter à fond de la campagne du sud de l'Inde si différente de ce que nous avions vu jusque- là. Ici, il fait chaud et l'eau ne manque pas, ce qui semble convenir parfaitement à la végétation et aux cultures. La nature, à travers la large palette de verts vifs et tendres, dégage une impression de force, de vie, elle paraît à son aise.
 
Verte campagne du Karnataka

 
Près des nombreux lacs -artificiels ou non- qui scintillent, s'étalent les rizières dans leur habit vert fluo. Un peu plus loin, des cultures qui nécessitent un peu moins d'eau. Beaucoup nous sont inconnues, mais pas le maïs (une spécialiste qui se reconnaîtra ne me le pardonnerait pas ;-)) qui a souvent dans ses champs des rangée de cocotiers pour se protéger du soleil. Les cocotiers, ils sont omniprésents, en forêt, en bosquet ou isolés. Dans ces contrées, peu de tracteurs, celle qui joue leur rôle, c'est la vache à bosse; elle tire les charrues dans les champs, et les charrettes sur la route. Sa robe est claire, sa démarche élégante et ses cornes élancées vers l'arrière, lui donne une certaine majesté. Le long des routes nous croisons aussi des femmes vêtues de saris aux couleurs chatoyantes qui portent sur leur tête de lourds fardeaux.
 
 
 
Labour
 
 
 
Deux lavandières

 
Chaque fois que nous arrivons dans un village, nous sommes l'attraction. Ne pouvant compter sur notre carte approximative et inexacte nous devons demander ou nous faire confirmer la direction et le nombre de kilomètres jusqu'à la prochaine ville. Sans que nous comprenions pourquoi, certaine fois, une foule dense s'agglutine autour de nous, chacun voulant nous aider. Dans d'autres cas, nous sentons que tout les yeux du village nous épient mais personne ne s'approche.
 
 
"Il fait trop chaud pour brouter" pensent les buffles

 
Après Chitradurga, pour accélérer le mouvement, nous reprenons une "National Highway" (qui correspondrait en France à une nationale). Pas de chance, la route est en très mauvaise état : slalom géant entre les ornières obligatoire, goudron en pointillé. Et vu que c'est un grand axe, beaucoup de camions qui nous doublent les uns après les autres en nous gratifiant tous d'un bon coup de klaxon. De quoi finir sourd à la fin de la journée. On reste quand même sur cette route car, c'est de loin la plus courte et c'est tout droit jusqu'à destination. Les vingt derniers kilomètres sont particulièrement pénibles. Le goudron a complètement disparu, nous roulons sur une route empierrée et défoncée dont les bords s'effritent. Les véhicules soulèvent des nuages de poussières qui nous font suffoquer. La circulation s'est densifiée et ce n'est que des poids lourds qui roulent vite et doublent n'importe comment, nous obligeant plusieurs fois à nous mettre sur le bas côté pour ne pas nous faire écrabouiller. Le pompon revient aux chauffeurs des énormes camions de chantiers qui au milieu de ce grand bazar font la course en conduisant comme des pilotes de rallye. Nous sommes soulagés quand nous arrivons à Hospet (à 12km d'Hampi), 130 km au compteur, la plus grosse étape depuis que nous sommes parti de France alors qu'hier déjà nous avions parcouru 100km. Elles étaient en forme nos montures, dans le Karnata les carnes attaquèrent (désolé...).  Demain, grasse mat'!

Le lendemain, après avoir passer une bonne partie de la journée à élaborer une stratégie pour obtenir un billet de train pour le Gujarat où nous devons prendre le bateau, nous effectuons en fin d'après midi, à la fraiche, les 12 km qui nous séparent d'Hampi.
 
 
 
Blocs, bananiers et cocotiers
 
Ce site, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO est fascinant pour deux raisons principales. Il offre un paysage unique d'énormes boules de granite, de rizières, de champs de bananiers et il abrite les ruines de l'ancienne cité de Vijayanagar, capitale d'un puissant empire hindou, fondée en 1336. Au XIV ème siècle, l'alliance des royaumes hindous dominé par celui de Vijayanagar tentait de contrer la menace des sultanats musulmans. La cité, entourée de sept rangs de fortifications s'étendait sur 650 hectares et abritait plus de 500 000 personnes. Dans ses bazars convergeaient des marchands venus de tous horizons. En 1565, les sultanats musulmans ont fini par l'emporter et ont mis à sac la cité.
 
 
Visite du temple sous-terrain de Virupaksha

 
Nous avons passée une journée à nous promener en vélo dans les ruines de Vijayanagar, allant du temple de Vittala aux bains de la reine, du Sule Bazar à la statue de Ganesh, affinant nos connaissances sur les histoires hindoues. Quelques mots sur Ganesh, un des dieux les plus sympathiques d'Inde. D'un caractère bienveillant, il protège le foyer et assure le succès des commerçants et des voyageurs. Il est facilement reconnaissable car il a une tête d'éléphant. Selon une des légendes, Parvati, l'épouse de Shiva, un des dieux de la triade hindoue, l'aurait créé à partir d'un morceau de sa chair pour monter la garde devant sa porte pendant qu'elle se baignait. Comme Ganesh l'empêchait d'entrer, Shiva, furieux lui coupa la tête. Mais, quand il vit la détresse de sa femme, il répara son erreur en décidant que Ganesh prendrait la tête du premier être qu'il rencontrerait. Ce fut un éléphant!
 
 
Ganesh

 
 
Rizières
 
Le jour suivant nous nous sommes promenés dans les rizières et dans les blocs, nos chaussons d'escalade dans le sac à dos. Hampi est en effet le site d'escalade de blocs le plus connu d'Inde. Mais faire du bloc, ça ne s'improvise pas et nous ne sommes pas vraiment des spécialistes. Néanmoins nous nous sommes fait plaisir en grimpant sur un joli bloc au coucher du soleil. Cela marquait la fin de notre remontée du sud de l'Inde et le lendemain nous sommes retournés à Hospet prendre le train pour Ahmedabad.
Les grimpeurs font leur cinéma
 
 
 
 
 
 
 

Kerala, entre la mer et les colines aux épices

Du 22 au 30 septembre,

Après deux jours passés dans le Kerala Express, nous arrivons à la gare d'Ernakulam. Si Ernakulam ne vous dit rien peut être que Fort Cochin (dit Kochi pour les indiens) vous semblera plus familier. Ernakulam est la partie Est et terrestre de la ville, Cochin est sur une presqu'île. On prend un petit ferry pour passer de l'un à l'autre. Rien n'est plus charmant que ces villes où on circule en bateau. Après Venise et Istanbul, Cochin est notre troisième exemple de ville aux bras d'eau. C'est un ancien comptoir colonial où l'influence portugaise, chinoise, hollandaise et anglaise reste bien visible. Dès notre arrivée nous sommes agréablement surpris. La gare ferroviaire est calme et propre, d'apparence prospère. On n'y voit pas tous les mendiants, estropiés, miséreux allongés sur le sol que l'on a croisés ailleurs en Inde. Beaucoup d'hommes sont en lungi (large pièce de coton enroulé autours des hanches et parfois relevée au dessus des genoux), hommes et femmes déambulent avec un parapluie noir en guise d'ombrelle et nous avons un accueil détendu et souriant à la station. Nous avons l'impression d'avoir changé de pays.
On n'a pas changé de pays mais on a changé d'Etat. Lorsqu'on ne connaît pas on a tendance à imaginer l'Inde comme un grand pays homogène. Lorsque l'on se rapproche on se rend compte des incroyables différences entre les états et territoires qui le constituent.
Un exemple emblématique est la langue: il n'existe en Inde pas moins de 16 langues officielles. Cela peut paraître surprenant mais un habitant du Ladakh et un habitant du Kerala ont tout autant de mal à se comprendre qu'un Portugais et qu'un Suédois. Nous avons croisé des touristes indiens qui nous expliquaient que dans certaines régions, il étaient incapables de comprendre leurs compatriotes qui parlaient uniquement leur dialecte. En outre les Indiens ne parlent pas tous anglais, loin de là. C'est le privilège de la "middle" et "upper class". On comprend pourquoi les Anglais avaient imposé l'usage de leur langue: comment commercer dans ce pays où pas moins de 3000 dialectes sont pratiqués?
Ici, au Kerala, la langue officielle est le Malayalam, et nous sommes chanceux car le Kerala est l'un des Etat les mieux éduqués d'Inde et beaucoup de personnes parlent aussi l'anglais. Le Kerala a eu la particularité d'être dirigé depuis 1957 par des gouvernements communistes. Il est devenu l'Etat le plus socialement avancé d'Inde avec un taux d'alphabétisation supérieur à 90%, un taux de mortalité infantile cinq fois plus bas que la moyenne nationale, une espérance de vie de 10 ans supérieure à la moyenne indienne (73 ans contre 63 dans le reste du pays)... Nous avons trouvé ces chiffres dans des guides ou sur Internet, mais nous ressentons réellement cette différence dans notre parcours de voyageur. Les gens nous semblent plus ouverts, oserait-on même dire plus heureux, les richesses nous paraissent mieux réparties (pas d'opulence ostentatoire ni de profonde misère), nous n'avons pas vu de bidon ville dans le Kerala...

Nous prenons le petit ferry pour nous rendre à Fort Cochin. Beaucoup de jeunes indiens manifestent de l'intérêt et de la sympathie à notre égard. Pierre doit s'acquitter d'une séance photo (on devient des professionnels!).
Nous faisons nos premiers kilomètres dans la cité. C'est agréable, rien à voir avec Delhi. Propre, jolies maisons, végétation luxuriante et exubérante et peu de circulation, un rickshaw, une moto ou une chèvre par-ci par-là, beaucoup d'indiens à vélos. Pédaler à Fort Cochin est un régal. Nous trouvons un homestay où passer la nuit, encore une fois nous sommes surpris des égards de nos hôtes. La chambre, au prix pourtant modeste, est propre et joliment décorée, nous avons même une étagère avec des livres en anglais et en français et Ganesh et Parvathi pour veiller sur nous...
La vie semble facile ici. Le soir nous nous joignons aux promeneurs indiens sur le front de mer. Nous discutons avec des étudiants. Leurs questions nous amusent: ils nous demandent entre autres si nous sommes mariés (ce à quoi nous avons pris l'habitude de souvent répondre oui par facilité) et s'enquièrent alors de savoir s'il s'agit d'un "mariage d'amour". L'un des étudiants, va se marier bientôt, mais, comme le plus souvent en Inde, son mariage a été arrangé par les familles.
Nous achetons à des pêcheurs une poignée de crevettes et deux belles dorades. Nous nous rendons dans un petit restaurant où on nous les cuisinent. Un festin!

 

 
Douceur de vivre à Fort Cochin, vendeur de cacahuètes grillées
 
 
 
Promenade en bord de mer, à l'arrière on aperçoit un filet chinois. Il y en a partout au Kerala, ils sont engloutis puis remonté plein de poisson, si Shiva le veut bien. 

 

Le lendemain nous consacrons la journée à visiter la ville en vélo. Nous pédalons jusqu'au quartier de Mattancherry. Nous longeons des canaux, des échoppes et entrepôts d'épices.

 

 

 
A vélo dans les rues de Cochin

 

Nous visitons le palais de Mattancherry, construit par les portugais au XVIème et rénové par les marchands hollandais au XVII pour gagner l'amitié des maharadjahs. Nous apprenons qu'à Cochin subsiste une petite communauté juive (70 âmes). Nous visitons la synagogue où une série de panneaux décrit leur histoire. L'émigration des premiers juifs en Inde remonte à la destruction du temple de Salomon, la première diaspora. Les juifs indiens avaient fondé dans le Sud de l'Inde un petit état. Il a été complètement détruit par les Maures. Seule une poignée de fuyards a réussi à rejoindre Cochin (à la nage) et a obtenu l'accord des rajas locaux pour y construire cette synagogue.
Juifs, chrétiens, musulmans, hindous. Nous nous arrêtons dans de nombreux édifices de toutes religions.
Rien à voir avec les lieux, historiques et souvent mortifères que l'on visite en Europe. Nous sommes surpris ici par la vivacité et la création religieuse. Comme la végétation la religion est florissante. De nombreuses sectes, gurus et temples en tout genre se développent.

 

 
Église de style portugais ou résolument moderne, centre du "pélerin au visage sacré", temple du nouveau Jésus ou mosquée futuriste, surprenants et divers lieux de cultes.

Nous nous arrêtons au hasard, dans une cantine pour manger. Nous dégustons notre premier thali kerali: c'est un repas complet servi sur un plateau en alu. Il y a un petit pain frit, qui fait office d'amuse-bouche, au centre du plateau une grande quantité de riz blanc, à mélanger avec le contenu de petites soucoupes en fer: curry de poisson, de légumes, yaourt. Le repas est une communion. On mange avec les doigts parce que le contact avec la nourriture a quelque chose de sacré. C'est délicieux et toujours intense. Un piment m'a assassiné et après beaucoup de larmes, c'est le yaourt délayé local qui a fini par me calmer.
Nous quittons à regret Cochin, et sa douceur de vivre.

Pendant quatre jours nous remontons le long de la côte. Nous interrompons souvent notre course pour traverser des bras de mer ou des canaux en empruntant de petits bacs pittoresques.

 

 
Attente pour traverser un bac, trouver l'intrus


 
Traversée d'un "backwater", canal du Kerala

 

 
Jolis esquifs

Une route principale, la n°17, suit cet itinéraire, mais nous l'évitons souvent, préférant les petites routes secondaires le long du littoral. Nous nous perdons parfois dans un dédale de petit chemins entre les cocotiers, rencontrons des pêcheurs qui semblent vivre en Robinsons sur une île. Nous avons beau être hors des sentiers battus, la côte du Kerala est densément peuplée et il n'est par exemple pas envisageable de poser un bivouac. Je me souviens de toute une après midi où il était impossible de trouver un endroit à l'abri des regards pour aller aux toilettes au bord de la route. En moins de deux minutes à chaque arrêt, se formait invariablement un petit groupe de curieux!

 

 Tentative d'ascension d'un cocotier (il est équipé!) / Rencontre près d'une plage

Traversée d'un bras de mer

 

Nous ne nous préoccupons pas trop de notre ravitaillement, sachant que nous trouverons partout facilement un petit resto-route (ici ça ne s'appelle plus "dhaba" mais "hotel") où manger pour une poignée de roupies un délicieux thali. Pour dormir c'est plus difficile car il nous faut impérativement rejoindre une ville de taille moyenne ou un endroit touristique pour trouver une petite chambre dans un "lodging" ou une guesthouse. Les jours ont raccourci et la nuit tombe désormais aux alentours de 18h30. Un soir nous avons dormi sur l'île de Vypeen, près d'une plage. Nous avons observé de jeunes indiens se baigner. Pudiques, les femmes gardaient leur sari pour s'ébattre dans l'eau. Aussi curieux que cela puisse paraître, nous ne nous sommes pas baigné une seule fois alors que nous roulions près de la côte. La mer sombre de l'Océan Indien, jamais très belle, ne nous y a pas incité. Un autre soir, nous avons dû rallonger notre étape d'un sprint d'une dizaine de kilomètre pour atteindre avant la nuit Guruvayur. Nous avons appris que cette ville est un important lieu de pèlerinage hindou. Le temple de Sri Krishna qu'elle abrite est l'un des plus célèbre du Kerala, mais sa visite est malheureusement exclusivement réservée aux hindous. Nous nous sommes donc contentés d'admirer de l'extérieur son éclairage exubérant. Dans la rue, je ne suis pas très attentive, je sens une énorme masse noire me frôler. Je fais un bond: c'est un éléphant qui a failli m'écraser, il circulait sur la chaussée, tranquillement guidé par son cornac. C'est le premier que l'on rencontre.
Sur la route nous prenons l'habitude des interviews. Beaucoup d'indiens nous arrêtent pour nous poser des questions, toujours les mêmes: "What is your name?", "Where are you from?", "Where are you going?" et, pour les plus curieux, "What is your job?" et "Are you married?". Souvent sur la route les scooters et les motos ralentissent et nous soumettent à un interrogatoire tout en roulant à notre hauteur! Parfois nos réponses sont mal comprises:
- "What is you name?"
- "Anne-marie"
- "Mary, where are you from?"
- [lassée de répondre un banal "France" et voulant impliquer mon interlocuteur] "Try to guess!"
- "Portugese! and what is your job?"
- "I worked in a meteorological center"
- "Oh, a call center, nice!"
Voilà, pour cet Indien je suis Mary, la portugaise qui travaille dans un centre d'appel. 

Un jour, par hasard sur la route, nous nous faisons inviter à assister au spectacle de début d'année d'un établissement scolaire, des chants et danses traditionnels sont interprétés par des adolescents. L'un des organisateurs tient absolument à ce que nous intervenions, ne pourrait-on pas chanter? Nous ne nous sentons pas vraiment capable d'être de bons ambassadeurs de la France dans ce domaine et Pierre se contente de répondre à une nouvelle interview. Ils veulent surtout savoir ce que nous pensons du Kerala. En répondant que nous trouvons les Kerali très accueillants et chaleureux Pierre reçoit les vivats de la foule!

 

Spectacle sur la route

L'ambiance sur la route qui était jusque là bonne enfant devient plus tendue. A partir du village de Tirur, nous traversons une zone à majorité musulmane où la population semble moins éduquée (en tout cas plus personne ne parle anglais). Des hommes m'adressent quelques remarques ou regards peu agréables. Nous nous faisons importuner par des enfants au point de manquer de chuter dans le fossé, et quand nous essayons de leur faire comprendre notre mécontentement, nous sentons grossir autour de nous une foule de locaux hostiles à notre égard et préférons faire profil bas et déguerpir. Nous nous arrêtons un peu plus loin, discrètement derrière un muret, pour permettre à Pierre de régler son frein qui frotte depuis notre mésaventure avec les enfants. Mais des jeunes viennent roder autour de nous, veulent toucher au vélo et intervenir dans la réparation. Un d'entre eux, profitant de la confusion essaient de fouiller une de mes sacoches et se fait frapper violemment par son aîné. D'autres jeunes arrivent, sans doute pour le défendre. Pierre renonce à régler son frein et nous fuyons rapidement pour éviter de nous trouver mêlés à une bagarre générale. Nous sommes contraints de nous arrêter dormir dans la petite ville suivante. Nous ne nous y sentons vraiment pas à notre aise après les épisodes de l'après-midi. Nous nous remettons de nos émotions en achetant quelques pâtisseries. Les musulmans préparent de bien meilleures sucreries que les hindous, en revanche la communication est parfois plus difficile. Un homme aborde Pierre de manière très amicale. Nous sommes cependant atterrés par les questions qu'il lui pose: quel est le métier de son père? Est ce que je suis sa femme (car il ne m'adresse évidement pas la parole) et est ce que mon père et vivant. Nos mères ils s'en fout royalement, qu'elles travaillent ou qu'elles soient mortes. Pour finir en beauté notre réchaud fait des siennes et nous passons la soirée à essayer de le désencrasser. La buse que nous avons abîmée est définitivement coincée et il ne marche plus.
Le lendemain nous roulons jusqu'à la grande ville de Calicut, où nous avons bien du mal à trouver une chambre: tout est plein car il y a un festival hindou en ce moment. Les temples sont illuminés et décorés de fleurs. Nous mangeons des massala dosas et du chilli prantha  dans une cantine bondée. Sur notre table de six personnes, les voisins se succèdent. Les indiens mangent à une vitesse impressionnante, au moins trois fois plus vite que nous, à chaque repas, nous avons le temps de voir défiler trois groupes de convives.

 

 
En cette période de "post-mousson" le ciel est souvent couvert.
 

A partir de Kalicut, nous quittons la côte et pénétrons dans les terres. Direction la zone naturelle du Wyanad et le Karnataka. La route est assez fréquentée et vallonnée. Nous avions prévu de rejoindre Kalpetta située à 63 km de là en une journée. L'étape semblait modeste. Ce que nous n'avions pas prévu, et ne pouvions pas voir sur notre carte, c'est que pour parvenir à Kalpetta il faut franchir un "ghat". Littéralement, en  Inde, les ghats sont les marches des escaliers qui permettent l'accès aux rivières. Par extension, un ghat désigne aussi un chaîne de montagne qui borde l'ocean. Certes ce n'est pas un col himalayen mais le ghat surprise du Kerala en fin de journée c'est sacrément difficile à avaler. Il n'y a plus une seule habitation, la montée se fait en forêt, et le soleil se couche. Nous nous rendons compte que nous n'arriverons pas à atteindre Kalpetta avant la nuit et nous ne savons pas quand s'arrêtera cette interminable "marche". Beaucoup d'indien nous prennent en photo. Nous sommes l'attraction touristique; bien plus amusants et exotiques que les nombreux singes en bord de route à qui ils lancent des cacahuètes. Certains, sympas, nous encouragent, d'autres veulent nous interviewer. Nous avons même droit à des applaudissements au sommet. Mais nous sommes loin de nous réjouir. Il fait presque nuit, pas très chaud, et une pluie fine commence à tomber. Par chance, après quelques kilomètres dans l'obscurité nous trouvons une petite chambre. 

 

 
Route entre Calicut et Kalpetta

 

Le lendemain nous découvrons notre nouvel environnement. Nous sommes désormais sur un plateau à 1000 mètres d'altitude, la végétation a complètement changé. La journée du lendemain nous roulons parmi les plantations de thé et les forêts de poivriers.

 

 
Plantation de thé

 

 
Travail dans la plantation de thé

 

 
Paysage des ghats dans la brume

 

 
Les poivriers sont de petits arbustes qui poussent à l'ombre de plus grands arbres

 

Sultan Bathery est la dernière ville importante avant la frontière avec le Karnataka. Nous l'atteignons en début d'après-midi. Comme nous avons le temps, nous décidons de continuer un peu plus loin. Alors que nous faisons une pause chips de bananes, un motard s'arrête et nous pose les questions rituelles. Jusque là rien de surprenant. Avant de partir, à notre grand étonnement il nous dit qu'il a une lettre pour nous, et nous tend un papier avant de s'en aller. Incrédules, nous examinons cette missive qui nous est destinée et qui dit grosso modo: "Merci pour votre visite, bonne chance pour la suite de votre voyage. Attention, n'allez pas plus loin que Muthanga dans l'après midi, reposez vous plutôt". Elle n'est pas signée! Nous trouvons ce courrier très suspect et n'arrivons pas à identifier qui pourrait nous l'avoir adressé et comment est-elle arrivé dans les mains de ce motard, qui en outre, roulait dans la direction opposée à la notre. Tout à nos spéculations nous continuons notre route jusqu'à Muthanga, où nous constatons par nous même que les avertissements de notre correspondant anonyme étaient justifiés. Après Muthanga, la route traverse durant soixante kilomètres une réserve naturelle, il est dangereux de s'y aventurer la nuit au risque de se trouver nez à nez avec un tigre ou une horde d'éléphants sauvages. De toutes manières, la route est coupée par les gardes du parc entre neuf heures du soir et six heure du matin. Nous discutons avec l'un d'entre eux et lui demandons où nous pouvons passer la nuit. Il n'y a qu'un lodge de luxe à proximité et il est interdit de camper (à cause des animaux). Nous n'avons pas envie de refaire 15 kilomètres pour revenir à Sultan Bathery. Après quelques minutes de discussion nous apprenons qu'il y a un dortoir près de la cabane des gardiens, mais il n'est pas sûr qu'en tant qu'étrangers nous puissions y dormir. Le garde téléphone à son supérieur. Finalement on nous ouvre les portes d'un vaste dortoir. Dix lits et trois douches pour tous les deux, c'est large!

Dans la soirée nous entendons d'étranges cris d'animaux. Nous ne sommes pas mécontents de ne pas camper.

Demain nous traversons le "sanctuaire de la vie sauvage" et nous quitterons le Kerala.

 

 

 
D''habiles mécaniciens ont réussi à extirper la buse bloquée (la noire, complètement encrassée)
Youpi! On va pouvoir à nouveau faire du thé!

 

 

 

Delhi, deuxième impression

Du 16 au 21 septembre,
 
Pendant ces journées, nous n'avons malheureusement pas pris de photos.

Après avoir dormi dans le train, nous arrivons à la "Old Delhi Station" au petit matin avec la sensation de revenir dans un endroit familier. Tak ne peut pas nous recevoir, dans deux jours, il part en vacances aux États-Unis. Nous partons donc à la recherche d'un hôtel. Direction "Pahar Ganj", un quartier populaire qui rassemble de nombreuses adresses bon marché. Il a beau être huit heure du mat', les rabatteurs sont déjà à leur poste. L'un d'eux nous prend en charge. Pendant deux heures, il va nous montrer des taudis ou des hôtels trop haut de gamme. Impossible de s'en dépêtrer. Après deux heures d'efforts, nous avons très envie de trouver enfin une chambre où nous reposer, et lui, on peut le comprendre, il a très envie de gagner sa commission! Nous trouvons finalement tout seul l'hôtel "Prem". La chambre 302, au troisième étage, est impersonnelle avec ses murs jaune pisseux mais a l'immense avantage de posséder une fenêtre qui nous offre un coin de ciel. Dans la salle de bain, seul un robinet sur les quatre fonctionne, c'est déjà pas mal! (J'imite Patrick Boman qui dans son récit de voyage "Retour en Inde" que je suis en train de lire décrit un peu de cette façon toutes ses chambres d'hôtel).

A Delhi, nous passons beaucoup de temps dans les cybercafés pour organiser la fin de notre année de voyage, au moins dans ses grandes lignes. Nous quittons l'Inde dans un mois en navire porte conteneurs direction Malte. Ensuite, nous prendrons un ferry pour la Sicile et un autre pour la Tunisie. Mais à partir de là, ça se corse! Le retour par l'Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne) tel que nous l'avions imaginé semble compromis. D'une part, nous avons appris il y a peu que les frontières terrestres entre l'Algérie et le Maroc sont fermées (depuis 1994!). D'autre part, il semble qu'obtenir un visa algérien depuis un pays différent de la France soit impossible. Qu'à cela ne tienne, nous allons changer notre fusil d'épaule. Au début de notre voyage, nous avons lu "A l'école du monde" de Christelle Savoye, une institutrice qui raconte l'année qu'elle a passée à pédaler en Afrique noire, en Amérique du Sud et en Chine. Elle parle tellement tendrement des Burkinabais, des Maliens et des Sénégalais avec qui elle a eu beaucoup de contacts, qu'elle donne envie d'aller à leur rencontre. Et maintenant que nos vélos nous ont mené jusqu'en Inde -nous en sommes les premiers surpris- nous nous sommes dit que nous pourrions passer par l'Afrique noire. Nous allons donc essayer de traverser le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc et l'Espagne avant de rejoindre la France. Malheureusement, pour aller de Tunisie au Burkina, nous allons encore être contraints de prendre l'avion alors que nous voulions éviter ce mode de transport. Avant de partir, nous ne savions pas qu'il était si difficile de franchir les frontières et qu'il y avait tant de zones à éviter. En Europe, c'est si simple de passer chez son voisin!

Nous voulons aussi profiter de notre passage dans la capitale pour nous faire vacciner contre la fièvre jaune, impératif pour pouvoir monter sur le cargo car il y a une escale à Djibouti. Tak nous conseille un hôpital mais nous devons finalement aller dans un hôpital public gouvernemental, seul habilité à délivrer le certificat international de vaccination. Nous nous présentons donc dans un immense hôpital pendant le bon créneau horaire, faisons la queue, il y a au moins une cinquantaine de personnes présentes, payons 300 roupies, remplissons le certificat, sommes vaccinés à notre tour et le médecin présent, tamponne et vise le fameux papier cartonné. Un bel exemple de taylorisme, efficace. Les seringues et les aiguilles sont stériles; en non initiés, c'était tout ce que nous pouvions vérifier. Chaque fois que nous y avons été confronté, le service de santé indien nous a paru de bonne qualité. Sandrine et Mickaël, les deux infirmiers français que nous avons rencontrés à Dankar dans la vallée de Spiti et qui sont eux aussi allés à l'hôpital, nous l'ont confirmé. De plus, dans les hôpitaux gouvernementaux, les consultations, les soins et les médicaments sont gratuits.

Le deuxième service public que nous visitons ce jour-là est la poste. Pour nous alléger un peu, nous avons préparé un colis d'affaires dont nous n'aurons plus besoin et que nous voulons renvoyer en France. Notre dernier colis, nous l'avions posté en Iran. Nous étions arrivés avec un paquet tout prêt, fermé où tout était rangé au millimètre. Ils avaient tout ouvert pour vérifier le contenu et tout mis en vrac dans un carton à eux. Alors, on s'est méfié, et on est arrivé avec un colis ouvert. Mais cette fois, il fallait que le colis soit fermé et emmailloté! Heureusement, à la poste, un employé nous a cousu un joli tissu autour de notre paquet et on a pu aller faire la queue au guichet. La queue en Inde mérite bien quelques mots. La plupart des Indiens ne savent pas faire la queue! Ils se placent en grappe devant le guichet. Il passent devant vous sans vergogne, sans avoir l'impression de tricher. Il faut jouer des coudes et c'est la loi du plus fort. Une partie de l'explication est peut-être dans le système de castes. De manière générale nous avons aussi remarqué  qu'en Inde les marques de politesse que nous utilisons habituellement et qui sont destinées à  mettre un peu d'huile dans les rapports humains, ne sont pas employées. On vous accueille souvent sans bonjour, le merci est superflu et le au revoir inutile. Ils semblent y être insensibles. Les relations sociales nous paraissent plus "brutes", il faut un peu de temps pour s'y habituer mais on s'y fait.
 
A Delhi, nous nous sentons bien plus à l'aise que la première fois ce qui nous permet de profiter pleinement de la ville. Nous nous promenons détendus. Nous avons beaucoup moins de difficulté à faire lâcher prise à tous ces Indiens qui veulent nous vendre quelque chose ou nous attirer dans leur boutique. Négocier un rickshaw est devenu un jeu d'enfant. Nous mangeons souvent dans les toutes petites dhabas dans lesquelles nous n'aurions rien pu avaler il y a deux mois. Et c'est là que nous préférons manger avec les Indiens et avec les doigts.
Nous avons passé une soirée dans Old Delhi, dans le quartier musulman de la mosquée Jama. Ah, les musulmans, qu'est-ce qu'ils cuisinent bien! Les plats, les pâtisseries... Qu'est-ce-que leurs marchés sont beaux et colorés! Qu'est-ce-que leur quartier est animé, vivant! Et qu'est-ce que ce serait bien s'il traitaient leurs femmes différemment! On en voit très peu dans les rues dès que la soirée commence et celles que l'on aperçoit sont entièrement voilées.
Tak, avec qui nous avons mangé le premier soir, nous a amené dans un restaurant de "Defence Colony", le quartier des "expats". Étonnant ce quartier qui aurait pu être n'importe où en Occident : mobilier moderne et élégant, carte de bières internationales. Heureusement, dans l'assiette, la cuisine est indienne et savoureuse.
Pour aller chez Tak, nous avons pris un rickshaw. Jusque là, rien d'original pour Delhi. Mais ce chauffeur-là était vraiment déjanté. Il nous a pris alors qu'il avait déjà derrière lui une sympathique québécoise avec qui nous avons tenté d'échanger quelques mots. Mais impossible, dès que nous commencions à parler français, le chauffeur nous interrompait pour nous demander de lui apprendre le français, pour dire aux filles qu'il les aimait. En passant près d'un buisson à 60 à l'heure, il a arraché une poignée de fleurs et nous en a offert une à chacun. Pour nous interrompre, il avait aussi une autre méthode, allumer brusquement et à fond son autoradio, que dis-je, son richshaw radio, un équipement pas du tout de série. Il l'arrêtait ensuite tout aussi brusquement. Brusque, c'est aussi ce qui caractérisait sa conduite : fortes accélérations, freinages tardifs, coups de volant violents. En chemin, il a fait une pause pour acheter 500g de biryani (riz épicé et savamment aromatisé); il a tenté d'en faire une seconde pour faire le plein mais a compris qu'il ne valait mieux pas s'il voulait que nous restions dans le rickshaw. Et finalement, nous sommes arrivés à destination.

Après quatre jours dans la capitale, nous quittons à nouveau Delhi en train: le Kerala Express qui traverse l'Inde du Nord au Sud doit nous conduire à Cochin. Pour l'enregistrement des vélos, heureusement que nous sommes rompus à l'exercice car le préposé aux bagages est obtu. Pour une histoire de plaque indiquant la destination, et que l'on nous avait toujours fournie jusqu'à présent, nous allons manquer de rater le train. Moyennant 50 roupies, un porteur résout notre problème et confectionne la fameuse plaquette à partir d'une canette de bière. Enfin, quand le train s'ébranle, nos vélos son bien rangés dans le wagon de marchandises et nous sommes bien installés dans une voiture de classe 2AC (juste après la première sachant qu'en Inde, il y a 6 classes). Vu que nous partions pour deux jours et deux nuits de train, et que nous voulions pouvoir brancher notre petit ordinateur pour faire avancer le site, nous avons opté pour du confort. Même si, en définitive pour l'électricité il faut aller dans le wagon d'à coté, nous ne sommes pas déçus, nous sommes au large, seulement quatre couchettes dans notre compartiment.
Près de 48 heures dans un train, c'est une expérience assez inhabituelle pour nous, bien plus courante pour les Indiens. Tous leurs trains grandes lignes partent pour plusieurs jours. Évidement, les distances ne sont pas les même mais en plus, les locomotives prennent leur temps, il ne faut pas se fier à leur petit nom "Express", elles font de longues pauses dans les gares. Cela nous laisse du temps pour deviser avec les différents voisins qui se succédent. Tout d'abord, un homme politique, facilement reconnaissable car en Inde, ils sont vêtus de blanc de la tête au pieds, le blanc symbolisant la pureté(!). Pas très loquace ce sexagénaire qui à l'air de nous prendre de haut. Il est ensuite remplacé par un quinquagénaire bien en chair qui n'arrête pas de tousser et d'éructer bruyamment. Pourvu qu'il n'est pas la grippe H1N1... Il tente de nous convaincre d'aller passer quelque temps dans l'ashram (retraite communautaire) de Matha Amrithanandamayi couramment appelée "Ama" (maman), une des rares femmes gourous  en Inde. Apparemment, il fait parti de ses disciples, pendant son sommeil, il gémit son nom : "Ama, ah, Ama!". Un jeune étudiant en mécanique passe aussi une soirée en face de nous. Mais celui avec qui nous avons lié le plus de contact est un militaire charismatique d'une cinquantaine d'années qui paraît avoir un poste important au quartier général à Delhi. Il fait presque le même trajet que nous avec sa femme, son fils de 15 ans et sa fille de 12 ans. Quelques années plutôt, il était navigateur dans les avions militaires de transport de troupes et de matériel. Pendant une période, il a beaucoup survolé le Ladakh. Tout les jours, il participait à des largages de vivres sur le glacier Siachen où l'Inde est en guerre "sans fin" avec le Pakistan. Le plus haut champ de bataille du monde. Nous parlons du Ladakh en général, des routes, des paysages qu'il connaît bien aussi car il est originaire du Kashmir voisin. Il nous fait remarquer que notre voyage va donner du sens à beaucoup d'évènements géopolitiques dont nous entendrons parler une fois que nous serons rentrés. De temps en temps, ses enfants nous montrent notre progression sur une carte de l'Inde, ils suivent gare par gare. Nous sommes impressionnés car, à leurs ages, ils parlent déjà un anglais impeccable.
 
Dehors de plus en plus de cocotiers, nous n'allons pas tarder à sortir de cette bulle.
 
 
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