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Les vallées de Spiti et de Kinnaur

Du 30 août au 08 septembre,

Début septembre c'est encore la mousson. C'est en partie pour cela que nous ne sommes pas pressés de quitter l'Himalaya. Nous avons aussi envie de faire un crochet à l'Est dans la vallée de Spiti que l'on nous a décrite comme un autre bout de Tibet en Inde, authentique et secret. Nous rajoutons donc une petite frisette à notre itinéraire de retour. Au lieu de revenir par Manali en passant le Rhotang la (le premier col de la route Manali-Leh), nous continuerons à l'Est par la vallée de Lahaul, passerons le Kuzum pass (4550m) et descendrons la vallée de Spiti le long de la rivière du même nom puis la vallée de Kinnaur le long de la rivière Sutlej. Cet itinéraire constitue une boucle qui nous ramènera à notre point de départ himalayen: Shimla. 
 
Nous sommes un peu fainéants au départ et décidons de ne pas pédaler pour passer le Kuzum la.  Nous avons eu des informations fraîches de la part de Ben (l'ami cycliste qui nous a aidé à réparer notre réchaud) et la route avant le col est vraiment mauvaise. On économise donc un peu de temps et d'énergie et le bus depuis Keylong nous dépose dans la ville de Kaza, au début de la vallée de Spiti. C'est une bourgade qui n'a rien d'extraordinaire, mais c'est le point de départ obligé de tous les voyageurs qui souhaitent s'aventurer dans cette vallée. Il faut en effet y faire une demande de permis. Pourquoi un permis? On se le demande. Sans doute pour contrôler les voyageurs qui s'aventurent si près de la frontière chinoise? Un check post n'aurait-il pas amplement suffit? La demande de permis à Kaza est en tous cas une bonne occasion de découvrir la bureaucratie indienne. Il faut d'abord se rendre dans un bureau poussiéreux (à l'ancienne sans ordinateur, avec placards en fers blancs où s'accumulent des dossiers), où un fonctionnaire acariâtre (et nous n'avons rien contre les fonctionnaires!), armé seulement d'un stylo, d'un tampon et d'un pot de colle vous délivre un feuillet et vous dit d'aller le faire viser par la police, sans vous indiquer où trouver le poste. Il faut marcher un bon quart d'heure pour apporter ce document à la police, qui appose un tampon et une signature sans même regarder votre passeport. Pour finir il faut retourner au bureau avec le papier tamponné et deux photos d'identité, retrouver le fonctionnaire, qui, de mauvaise grâce, appose un nouveau tampon sur le feuillet, y colle une des photos et ajoute la deuxième à un grand livre, un trombinoscope géant. Prévoir une demi journée pour plonger dans cet univers kafkaïen.
 
Dans la rue nous rencontrons Mica, un américain de notre age avec qui nous passons la soirée. Après avoir fini ses études d'ingénieur Mica s'est envolé pour l'Inde et voilà plus de 2 ans qu'il se ballade à pieds dans l'Himalaya (et un peu partout ailleurs dans le sub continent), collectant de jolis clichés. Voici l'adresse de son site Internet: www.micahimages.com.

Après avoir essuyé une journée de pluie nous enfourchons nos montures et partons explorer la vallée de Pin en rive droite de la rivière Spiti. La trentaine de kilomètres qui nous y mène est assez pénible car nous pédalons avec un fort vent de face. Nous sommes cependant récompensés par la découverte du village pastoral de Guling, qui semble encore vivre de manière traditionnelle.
 
 
Plus que trois kilomètres face au vent avant Guling

Nous montons jusqu'au monastère de Kungri qui se dresse 300m au dessus du village et visitons la salle de la puja. Elle est décorée par 1000 petites figurines de bodhisattvas toutes identiques couvrant l'ensemble des murs latéraux. Encore une fois nous sommes surpris par la culture bouddhiste. Que signifie une telle répétition?
Juste à côté du monastère une guest house est tenue par des moines. Une parfaite retraite, nous nous y installons.
 
 
Petite vue de la vallée de Pin
 

 
Enfants de Kungri
 
 
Novices turbulents du Gompa de Kungri

 
Au cours de notre périple dans ces vallées himalayennes, nous rencontrerons beaucoup de cyclistes. La plupart sont venus spécialement pour faire cet itinéraire. Sans le savoir nous faisons donc une grande classique. Les premiers en date sont un couple de cyclistes autrichiens, la cinquantaine, une forme et un enthousiasme qui donnent confiance en l'avenir. Ils font la boucle Spiti/Kinnaur en sens inverse de nous et explorent toutes les vallées. Nous bénéficions de bons conseils et pouvont prendre une photo de leurs cartes (nous avions perdu la notre au cours de la journée). C'est amusant de comparer deux cartes indiennes, toutes les distances sont différentes. Les cartes touristiques que nous utilisons sont truffées d'erreurs et réservent beaucoup de surprises sur la route.
Le soir un des moines nous prépare un copieux rice dal. En cours de repas, la lumière s'éteint, une habituelle coupure de courant. Nous finissons la soirée à discuter autours d'un chaï à la chandelle.

Nous nous couchons tôt et nous levons aux aurores pour assister à la puja matinale. La cérémonie est beaucoup moins formelle qu'à Thiksey. Les moines nous offrent une natte pour nous assoir, du thé et du pain tibétain (chapati en beaucoup plus épais). Il y a beaucoup de novices et peu de moines âgés. Le second enfant d'une famille est traditionnellement placé dans un monastère, mais il n'embrasse pas forcement toute une carrière monastique. Beaucoup abandonnent à l'adolescence.
La puja de Kungri dure une petite heure et nous ne nous y ennuyons pas comme nous le craignions après notre première expérience à Thiksey. Les chants sont beaucoup plus rythmés, nous sommes cette fois tombés sous le charme.
 
La journée est aussi l'occasion d'observer les travaux des champs au village. C'est la fin de l'été, le moment de moissonner le blé et de faire sécher les bottes. Des dzos piétinent les épis pour extraire la précieuse céréale, la base alimentaire des habitants de cette région. Des femmes retournent les bottes toute l'après midi. 
 
Séchage des bottes de foin à Kungri
 
Pendant que les jeunes villageois travaillent les moinillons s'ébattent. Nous nous demandons quelles sont les occupations des moines en dehors des deux pujas journalières.
En fin d'après midi il se met à pleuvoir. En catastrophe les paysans essaient de protéger les bottes qui séchaient, les couvrent de bâches plastifiées. Toute une journée de travail gâchée, nous sommes attristés devant ce fiasco.
 
 
Travail monastique
 
Dès que la nuit tombe la température chute. Dans le monastère de Kungri nous avons un aperçu du froid, de l'isolement et de l'ennui qui doivent accompagner les froides soirées d'hiver. Comme tous les soirs l'électricité est coupée, nous mangeons un nouveau dal rice à la chandelle. Dans l'austérité de notre petite chambre glacée nous essayons de travailler un peu.
Le lendemain, après un petit déjeuner constitué d'une omelette et de chapatis, nous reprenons les vélos et quittons la vallée de Pin. Depuis la vallée de Spiti nous montons cette fois en rive gauche en direction du monastère de Dankar qui se dresse à 4000 mètres d'altitude. Nous nous échinons toute la matinée dans une longue montée sur une piste. Nous sommes obligés de pousser les vélos en haut.
 
 
 
Piste qui monte vers Dankar
 
 
Enfin, après plusieurs heures d'effort nous arrivons en haut d'un éperon. Un fort en ruine est exposé au vent. La vision qu'il nous offre est dramatique. Nous abandonnons les vélos pour marcher dans l'ancien village à côté du fort; des maisons sont bâties sur des pentes vertigineuses.
 
 
 
Arrivée au fort en ruine
 
 
Beaux baudets 
 
 
Le nouveau monastère et le nouveau village sont de l'autre côté, protégés dans un cirque, un écrin de roche.
 
 
 
Vue de la vallée de Spiti et du village de Dankar
 
Nous nous rendons au nouveau monastère. Comme à Kungri, il y a une petite guest house attenante. Nous nous y restaurons (un dal rice pour changer!) et rencontrons deux français qui ont la bougeotte. Mickaël et Sandrine  arpentent  l'Inde pendant 8 mois. Tous deux infirmiers de profession, ils ont vécu en Suisse, en Guyane, et ont sillonné l'Amérique du Sud pendant près d'une année. Ils tiennent un blog de leur voyage et publient de très belles photos à l'adresse suivante www.indiaandco.canalblog.com.
Après le repas nous abandonnons l'idée de continuer le vélo. Le temps s'est couvert et il commence à pleuvoir. Nous décidons d'assister à la puja de l'après midi du monastère. Nous sommes désormais devenus amateurs! La puja de 16h de Dankar est un beau bazar. Toute une rangée de novices s'agitent et les anciens ont bien du mal à les faire se calmer, pendant les prières un novice armé d'un balai fait le ménage dans la salle et un moine distribue des roupies (il entre avec une grosse liasse qu'il répartit  entre tous les moines présents). Il y a aussi une distribution de pains frits.  On nous en donne deux. Certains moines font une réserve en ramènent une douzaine avec eux. Les pujas ne sont pas que des moments sacrés, elles ont aussi une vocation sociale pratique dans la vie du monastère.
Avec Sandrine et Mickaël nous visitons l'ancien monastère. Des moines nous invitent à prendre un thé, puis nous ouvrent rapidement quelques salles et réclament enfin une "donation". Nous sommes en Inde et même les lamas ont le sens du business. A la guest house le soir, on se réjouit de manger des momos, soit disant "veg". Une forte odeur et un goût prononcé nous font tous faire la grimace à la première bouchée. "Si, si ils sont veg, nous assure notre hôte, ils sont veg mélangés à du mouton". Puis il finit par nous avouer que ce n'est pas vraiment du mouton, mais de la chèvre. Nous reprenons un dal rice.
Au matin, le ciel est dégagé, de notre promontoire nous avons une belle vue sur les deux vallées, celle de Spiti et celle de Pin. Les rivières s'entrelacent comme des serpents d'argent. Nous descendons la rivière de Spiti sur une route cinégénique jusqu'à la petite ville de Tabo. Jolie bourgade où se cultive le blé, où poussent les tournesols et où fleurissent aussi beaucoup de guest houses. Nous y visitons un ancien monastère qui date du Xième siècle. 
 
Nous nous posons beaucoup de questions sur le bouddhisme. J'ouvre ici une petite parenthèse pour résumer quelques éléments que nous avons appris sur cette philosophie.
Le bouddhisme trouve son origine environ six siècles avant Jésus Christ. A cette époque, dans un royaume près de l'actuel Népal vivait le prince Siddhartha Gautama. Il menait une vie heureuse, luxueuse, insouciante et protégée. S'ennuyant un peu dans son palais, il décida un jour de faire une escapade au dehors. Lors de sa promenade il aperçût un vieillard qui peinait à marcher, un pestiféré et une famille pleurant un proche décédé près du bûcher. Ces visions lui firent prendre conscience de la souffrance humaine, de la maladie, de la vieillesse et de la mort, maux auxquels, même protégé dans son palais, il n'échapperait pas. Cette découverte l'ébranla profondément. Il décida de tout quitter de sa vie précédente et de se consacrer à la recherche du salut. Il s'adonna à la méditation et adopta une vie ascétique. Il remit plus tard en cause les pratiques méditatives trop austères et préconisa une "voie moyenne", une discipline spirituelle ni trop dure, ni trop laxiste. C'est sous un pippal (une espèce de ficus) qu'il atteint l'illumination, c'est à dire la compréhension de la nature, de la souffrance humaine et des moyens pour y remédier. Il devint alors Bouddha: l'éveillé. Il consacra le restant de sa vie à enseigner la sagesse qu'il avait découverte.
Il existe actuellement trois principales écoles bouddhistes (qui se divisent elles-mêmes en un nombre incalculable de courants ou sectes).
La plus ancienne, le Théra-vâda ou Petit Véhicule est directement hérité des enseignements du Bouddha. Pour la décrire simplement, l'objectif pour chaque pratiquant est d'atteindre individuellement et "égoïstement" l'illumination et de devenir un "Bouddha pour soi". C'est la forme de bouddhisme la plus répandue en Asie du Sud et Sud Est (au Sri-Lanka, au Myanmar, au Cambodge, au Laos, et en Thaïlande). Elle représente environ 35% des pratiquants bouddhistes.
Une deuxième école s'est développée plus tard, deux siècles après Bouddha: le Mahayana dit aussi Grand Véhicule. C'est une forme de bouddhisme que l'on peut dire plus "altruiste" dans la mesure où il ne s'agit plus simplement d'une quête de sagesse individuelle. Les êtres parvenus à l'éveil ont le devoir d'aider le plus grand nombre à accéder aussi à cette sagesse. Pour cela les éveillés renoncent à l'accession au Nirvana (la libération définitive) et consentent à renaître sous forme de bodhisattva (disciple éveillé) dans ce but généreux. C'est la forme la plus répandu qui représente 62% des pratiquants et se retrouve principalement au Viêtnam, en Chine, en Corée, et au Japon.
La dernière école est le Vajrayana ou Véhicule de Diamant, il est aussi appelé bouddhisme tantrique. C'est le bouddhisme particulier des régions himalayennes (essentiellement le Tibet mais aussi le Népal, le Bhoutan et les régions indiennes du Ladakh, du Zanskar et du Sikkim). Il a une finalité bodhisattvique comme le Mahayana (c'est à dire que les êtres éclairés peuvent se maintenir dans le monde pour aider leurs semblables à atteindre l'éveil) mais il est fortement inspiré de l'hindouïsme qui était préexistant dans ces régions. Il  fait appel à d'autres traditions comme le tantrisme. C'est la forme la moins pratiquée (il représenterait seulement 3% de l'ensemble des pratiquants asiatiques) mais paradoxalement la plus connue et répandue en Occident. Il est lui même divisé en quatre écoles (Nyingmapa, Kagyüpa, Sakyapa, Gelugpa). Le Dalaï Lama n'est que le chef temporel de l'une de ses sous-écoles (celle des gelugpa ou "vertueux"). Ainsi contrairement à l'image que l'on peut avoir, le Dalaï Lama ne représente qu'une partie infime de la population bouddhiste (mais est respecté et reconnu par les autres).
 
Au delà des différentes traditions, tous les bouddhistes reconnaissent quatre propositions essentielles, aussi nommées quatre nobles vérités, la base de ce qu'un bouddhiste doit savoir:
- Toute vie implique la souffrance, l'insatisfaction;
- L'origine de cette souffrance repose dans nos désirs, nos attachements;
- Il est possible de mettre fin à cette souffrance;
- Pour cela il faut emprunter la voie médiane qui suit... le noble sentier octuple.

Le noble sentier octuple? C'est bien alambiqué!
Il s'agit des huit étapes spirituelles par lesquelles passer pour suivre la voie du Bouddha. Les voici:
- Compréhension juste ou correcte des choses et des phénomènes
- Pensée juste
- Parole juste
- Action juste
- Moyens d'existence justes
- Effort juste
- Attention juste
- Concentration juste
 
Bon courage!
 
 
Bâtiments de terre de l'ancien monastère de Tabo
 
Les petites notions que nous glanons sur cette religion/philosophie nous permettent de comprendre et d'apprécier parfois ce que nous voyons, comme ces étranges petites sculptures faites en beurre (si! si!) coloré qui ornent parfois l'intérieur des temples. Les moines fabriquent ces œuvres éphémères car elles rappellent le caractère périssable et transitoire de toute chose (l'une des Trois Caractéristiques de l'Existence). Mais ce que j'apprécie le plus c'est les multiples petits symboles que les bouddhistes cachent dans la nature, belle et sauvage de l'Himalaya. Drapeaux à prières si colorés qui flottent aux vents en haut des cols, sutras (prières) gravés sur des pierres au détour d'un chemin, blancs stupas accrochés aux rochers, rouleaux à prière inattendus. Le bouddhisme agrémente la montagne de surprises et de poésie.
 
A Tabo, assouvissons une vieille curiosité et goutons le cocktail tibétain tsampa et thé beurré. Curiosité née de la lecture des aventures d'Alexandra David Neels, première femme occidentale à avoir pénétré la ville sacrée de Lhassa.  Pour atteindre la cité, malgré l'interdiction chinoise, elle a fait le voyage à pied, déguisée en mendiante et accompagnée de son fils adoptif, le lama Yongden. Leur voyage  au travers les montagnes himalayennes a duré des mois. Ils n'avaient quasiment aucun matériel. Pas de couvertures, ils dormaient enveloppés dans leurs habits, ils se nourrissaient de maigres aumônes ou de tsampa et thé beurré qu'ils préparaient au feu de bois. Une leçon d'humilité pour tous les trekkeurs! On nous a vanté les mérites énergétique de la farine d'orge grillé (tsampa). Après avoir gouté nous sommes un peu déçus. La tsampa ça ressemble un peu aux "Weetabix".
Nous repartons sans trop savoir où nous allons dormir. La fatigue se fait un peu sentir et il devient clair que nous n'atteindrons jamais le prochain village, Nako avant la nuit. Il va falloir s'arrêter avant pour trouver un bivouac (ce qui est mission impossible sur ce relief accidenté), ou s'arrêter dans les hameaux de Horling ou Sumdo. A Horling il n'y a rien, même pas une dhaba avec un petit jardin où nous aurions pu demander à camper. Nous faisons huit kilomètres supplémentaires et atteignons Sumdo en fin d'après-midi. Grosse déception, Sumdo est un "bidon-village": des abris de fortune de tôle, pierres et plastiques, un poste de police. Sumdo est tout proche de la frontière chinoise fermée, la route qui y mène est bien surveillée. Il y a cependant une bâtisse au toit vert: la "rest house" gouvernementale. C'est un appartement, luxueux et propre pour l'Inde, composé d'une chambre, d'une cuisine, d'un séjour et destinée à accueillir les officiels de passage. Les gardiens peuvent aussi la louer aux touristes, si elle n'est pas occupée, pour le prix exorbitant 1000 roupies. Nous argumentons que nous n'avons pas besoin de tout cet espace et que nous nous contenterions d'une place dans le jardin de la rest house pour planter notre tente. C'est impossible. Mais en Inde il y a une solution à tout. Le gardien nous propose de dormir dans une chambre sur le toît de leur maison pour 500 roupies. Nous ne savons pas qui dort là d'habitude, mais c'est l'endroit le plus sale et le plus misérable que nous ayons jamais vu. Le sol est recouvert de gravier, les murs sont colmatés de plastique, il y a un gros trou dans le toit qui laisse passer l'air froid et la porte ne ferme pas. A l'intérieur il y a un lit sur lequel une couverture et une serviette sales sont jetées en boule. Il y a aussi tout un bazar usagé: une brosse à dents, un savon, des seaux, des accessoires de cuisine, un réchaud, des plats où moisissent des restes de nourriture, un paquet de farine ouvert, des fripes qui pendent au mur...  Nous n'avons pas le choix, nous allons dormir ici, mais seulement pour 200 roupies, ce qui est déjà une excellente affaire pour le gardien! Nous installons nos ponchos sur le lit en guise d'isolant, les tapis de sol par dessus et enfin les duvets. A sept heure les gardiens nous emmènent un repas dans la chambre: un très classique rice dal et chapati. Bien sur il n'y a plus d'électricité et nous mangeons notre pitance à la lueur des frontales et d'une bouteille d'alcool munie d'une mèche, amusés par le romantisme de la scène. Avant de dormir nous coinçons la porte avec nos vélos. La nuit cette antre nous révèlera une dernière surprise. Nous ne sommes pas seuls et toute une famille de souris fait du tapage jusqu'à l'aube, se régalant des restes de nourritures qui traînent dans les coins. Au petit matin nous quittons sans regret notre taudis.
 
 
La chambre de Sumdo

 
L'étape d'aujourd'hui doit nous mener au petit village de Nako. Seulement cinquante kilomètres, mais vingt de montée très raide. On monte, on monte... Toute la matinée. On se fait un repas de noodles soup au bord de la route, au milieu de nulle part. La route, elle fait parfois peur. On est au bord d'éboulis qui ne nous semblent pas très stables. D'ailleurs, si on passe par Nako c'est que la route qui suit la vallée s'est effondrée. Les routes de la vallée de Spiti sont une parfaite illustration du concept bouddhiste d'impermanence: rien n'est éternel, tout est en constant changement!
 
 
 
La route qui mène à Nako, minérale et vertigineuse
 
 
Avant Nako nous sommes charmés par un hameau où les abricots sèchent sur les toits, dans une maison il y a beaucoup d'agitation. D'en bas, des jeunes nous hèlent de venir les voir. Nous sommes invités à prendre le thé et on nous offre de petites fritures. C'est un mariage qui se prépare!
Quelques tours de roues plus loin, nous tombons amoureux de Nako, village propret et ancien. Dans des champs bien entretenus, des femmes récoltent des haricots. Ce soir-là nous dormons dans une joli chambre qui donne sur un jardin planté de fleurs et de légumes. On regarde, émerveillés, pousser les choux fleurs devant les montagnes. Nous faisons une visite buissonnière du vieux village, de ses maisons de terre, de l'ancien monastère. On mange les meilleurs momos du voyage dans une toute petite échoppe: "tibetan kitchen", succulents, faits avec les légumes du jardin. Quel contraste avec notre soirée de la veille! Comme tout change vite en voyage!
 
 
Potager idyllique
 
 
 
Préparation de pain tibétain pour le petit déjeuner

 
 
Enfants de Nako
 
 
Le lendemain ça commence très facilement par une descente de 30km. On à qu'à laisser rouler et ouvrir les yeux sur les merveilles minérales qui nous entourent. Nous rencontrons beaucoup d'autres cyclistes qui font la route dans l'autre sens durant cette étape: tout d'abord 6 cyclistes suisses qui voyagent escortés par 2 voitures, ensuite un anglais qui nous parait très affuté. Après avoir passé la ville de Puh, affreuse bourgade militaire peu hospitalière, nous nous arrêtons manger les ultimes pâtes et noodle soup qui nous restent. Cette fois c'est un cycliste canadien qui s'arrête, amusé de nous voir ainsi cuisiner en bord de route, et discute un moment.
 
 
Encore une noodle soup en bord de route

Enfin, une heure plus tard nous croisons un dernier cycliste australien. Tous, sans exception nous préviennent qu'il y a une portion de route d'une trentaine de km après la ville de Rékong Peo qui est exécrable (des travaux, de la boue, des camions et de la poussière) et nous conseillent d'éviter de rouler sur cette section. Message reçu.
 
 
Confluence indo chinoise où le mélange saisissant de deux rivières l'indienne bleue et de la brune chinoise

L'après midi le vent se lève, en pleine face. Nous sommes désormais dans la vallée de Kinnaur. Nous descendons péniblement la rivière Sutlej avec l'impression de la remonter. Nous ne savons pas où nous allons dormir, mais cette fois nous sommes chanceux car à Spello, où nous arrivons fourbus en fin d'après midi, il y a une guest house. C'est spartiate, une pièce avec un sol en béton, un lit dont le sommier est une planche, et en guise de salle de bain commune une pièce avec un robinet d'eau froide et un seau pour se laver. Parfait, il ne nous en faut pas plus. Dans la dhaba il y a des blattes mais le dal rice est bon et on est si contents d'être arrivés!

Le lendemain nous reprenons la route direction Kalpa, une vallée adjacente à la vallée de Kinnaur où se trouve la ville principale de Rekong Peo. Le début est facile, la route monte en balcon au dessus de la rivière, parfois creusée dans la roche de manière spectaculaire. Une grande gorge. Après ça se gâte et nous pénétrons dans une zone de travaux: circulation bloquée pour cause de chute de pierres (des indiens creusent la roche au marteau piqueur), poussière dans les yeux, la bouche, les narines... C'est tellement pénible que nous pensons un moment essayer de nous faire prendre en stop par un camion. Mais lorsqu'on s'arrête pour en attendre un, il n'en passe plus. C'est l'occasion de faire une pause, de discuter (ou de tenter) avec deux jeunes indiens qui ne parlent qu'hindi et qui transportent (mais pourquoi donc?) une grosse bûche. Nous partageons notre  paquet de gâteaux avec eux, ils nous offrent une belle pomme et un ingénieur du chantier nous offre des noix toutes fraîches. Nous reprenons la route et -ouf!- les travaux cessent et la route redevient plus escarpée au dessus de la rivière. Nous atteignons la bifurcation qui nous mènera à Rekong Peo (dit juste "Peo" pour les intimes).
 
 
Rencontre sympa au milieu des travaux
 
 
 
Route creusée dans la roche

Il est bientôt 13h et nous nous arrêtons pour manger. Nous trouvons un peu d'ombre sous un rocher et commençons à cuisiner les classiques et lassantes "noodle soup" sous cet abri. L'endroit devient vite infesté de mouches que nous nous évertuons à chasser de nos aliments. Elles finissent par gagner la partie et nous fuyons boire notre thé et manger notre pomme en plein soleil et en plein vent. Pierre, abattu, me demande: "Dis Anne-marie, il finit quand l'entraînement commando?!?" Malheureusement pas tout de suite, nous continuons par une montée régulière jusqu'à Rekong Peo, ville sans charme s'étalant le long de la route puis l'apothéose de la journée, 7km de montée très raide (800 mètre de dénivelé) jusqu'au petit village de Kalpa, terminus de notre étape. On est épuisés par la journée. Un dernier effort pour pousser les vélos en haut des escaliers qui nous mènent à Chindi bungalow, la guest house où nous élisons domicile pour la nuit.
Le soir nous visitons tranquillement le village, son temple hindou, son temple bouddhiste. La végétation a changé. C'est vert, il y a désormais des arbres, des pins et surtout des pommiers où s'accrochent de belles pommes rouges. Le soir nous observons le soleil se coucher dans l'épaisseur moelleuses des nuages accrochés aux montagnes.
 
 
Les chèvres rentrent à la bergerie

 
Le lendemain nous pensions visiter la vallée de Sangla avant de repartir pout Delhi, mais le sort en a décidé autrement...

Deux jours de rando à Keylong

27 au 30 août 2009,

Dur dur le réveil à 3h45 après la soirée momos qui s'est terminée tard! Nous devons être au "bus stand" de Leh à 4h30 pour attacher les vélos sur le toit du bus avant le départ à 5h. Sur le chemin, nous croisons nos amis de la guest house qui partent pour d'autres horizons : Sabine et Chris, la Suisse et l'Australien vont vers Shrinagar, les Autrichiens vont vers Lamayuru au début d'un trek. A la gare routière, surprise, un autre cyclo français, Orson qui va lui aussi à Keylong. Coïncidence, il fait parti d'un groupe de tour-de-mondistes français qui porte le joli nom d'"A fleur de monde" avec lequel nous avons échangé quelques mails. Retardé par un petit problème de santé, il prend le bus pour rattraper ses amis. En avant pour quatorze heures d'un bus qui ne cessera de nous secouer au point qu'il nous sera impossible de dormir, à peine pouvons-nous somnoler. C'est avec plaisir que nous parcourons à l'envers la route qui nous avait amené à Leh. Nous nous remémorons les anecdotes qui avaient ponctué nos efforts. En bus, ça fait moins mal aux jambes mais ça fait bien plus peur surtout quand le bus croise au millimètre un camion sur ces étroites et sinueuses routes de montagnes sans parapets. Chapeau chauffeur! Cependant on aurait bien aimé que quelqu'un te relaie de temps en temps car 14 heures de conduite, ça fait beaucoup...

 

Solides ces bus indiens...

 

Le lendemain, après déjeuner, nous partons sac à dos pour une rando d'une journée et demi. Sur un guide, dans une librairie de Leh, nous avons vu qu'il existait un chemin qui montait à un col et redescendait dans la vallée adjacente.

 

Départ de Keylong

 

L'environnement est bien différent du Ladakh, bien moins aride, beaucoup plus vert. Pendant tout le début de la balade, nous traversons des cultures en terrasse. Avant de poursuivre dans les "alpages", nous visitons un petit monastère perché. La salle de prière s'ouvre sur une terrasse d'où la vue sur la vallée et les sommets environnants doit pousser si ce n'est à la méditation, à la contemplation.

 

Bouddha oudside / Bouddha inside

 

Nous trouvons un bivouac quelques centaines de mètres plus haut, sur une plateforme en balcon, avec le même panorama. Ce serait parfait s'il y avait de l'eau. Le soir, nous parcourons les environs, pas de source ni de torrent en vue... Le lendemain au moment du départ, il nous reste moins d'un litre. Que faire? Redescendre au monastère ou espérer trouver de l'eau en route... Nous optons pour la deuxième solution. Au pire, dans moins d'un litre, nous redescendrons. La chance est avec nous, une minuscule résurgence nous permet de remplir nos bouteilles après une heure de marche.

 

Montée "scabreuse"

Repos dans la prairie

Au col, des drapeaux à prières claquent dans le vent. Ils sont accrochés à des stupas que des bouddhistes ont érigés là. Nous observons des glaciers, ils paraissent suspendus dans des vallons secrets au dessus de cette nouvelle vallée qui s'étend devant nous. Sentiment d'immensité : il y aurait tant de vallées, de vallons à explorer.

 

Couleurs aux vents

 

Vue du col

 

Dans la descente, des bergers gardent d'immenses troupeaux de brebis et pashminas mélangés. Les pashminas sont de grandes chèvres aux longs poils qui produisent l'étoffe très prisée du même nom. Les bergers sont couchés sur le sol, enroulés dans la couverture qui leur sert habituellement de cape pour ne pas être chahutés par le fort vent qui vient de se lever.

 

Troupeaux

Au fond de la vallée nous retombons sur la route et faisons du stop pour rentrer, nous sommes pris par deux camions "Tata" (marque de véhicules très répandu en Inde) décorés, comme toujours, par des motifs de couleurs vives à l'extérieur et à l'intérieur. Les chauffeurs sympas refusent catégoriquement qu'on leur donne des pourboires.
Le lendemain, nous quittons Keylong en bus pour Kaza, c'est reparti pour 10h de secousses. Il y a pourtant moins de 200km à parcourir...

A Leh et retour

Du 18 au 26 août,
 
Le centre de Leh n'est pas très agréable: poussière, klaxons et vendeurs à l'affut. Nous avons donc élu domicile dans une endroit plus sympa, sa banlieue verte si l'on veut, le village de Changspa, où les maisons possèdent des potagers et des champs de blé. La famille chez qui nous logeons possède une belle maison traditionnelle Ladakhi dont elle loue les pièces supplémentaires aux touristes l'été. Leh est une ville ultra touristique, dans la rue on trouve des français (trekkeurs), des magasins de souvenirs tenus par des Népalais ou des réfugiés tibétains, des "german bakeries", des restaurants, qui, outre les menus tibétains, proposent des plats italiens, américain, francais, israëliens...
L'avantage d'une ville touristique telle que Leh est que la vie y est facile: on y est bien logés pour pas très cher, on y mange facilement de la nourriture variée, tous les services et les commerces (Internet, poste, pharmacie, librairie) sont disponibles et adaptés aux touristes étrangers. C'est une ville où l'on pourrait se "laisser vivre" des semaines. Les "inconvénients" (coupures régulières de courant, absence d'eau chaude, il faut demander des baquets) restent largement supportables. Le problème c'est que l'on s'y sent justement "touriste", "consommateur de montagne". On est entourés par les agences qui proposent les divers trek de la région (treks tout confort accompagnés de guide, d'ânes ou mules et de cuisinier), le tour des monastères en 4*4 ou encore la location de vélo ou moto pour arpenter la région. Nous sommes contents de nous y reposer mais nous ne nous sentons pas complètement à l'aise dans cette ville.
 
 
Vue depuis le Shanti Stupa, dans notre quartier, qui offre un beau panorama
 
 
Toujours au Shanti Stupa, construit par des bouddhistes japonais pour promouvoir la paix,
la montagne la plus haute au fond est le Stok Kangri
 

 
Comme dans beaucoup de villes indiennes les vaches participent au recyclage
 

C'est cependant l'endroit idéal pour rencontrer d'autres voyageurs. Sur les conseils de deux d'entre eux, Sabine, une Suisse, et Chris, un Australien, nous décidons de nous lancer dans l'ascension du Stok Kangri, le sommet le plus couru de Leh, qui culmine à plus de 6000 mètres. Nous pensions n'être pas suffisamment équipés pour, mais d'après nos amis, il n'y a quasiment plus de neige au sommet et juste une traversée d'une centaine de mètres sur un glacier horizontal. L'ascension est donc possible sans crampons et avec nos chaussures légères. Nous nous décidons donc à tenter l'aventure et partons en autonomie pour 3 jours. Malheureusement nous redescendrons bredouille.
La veille du sommet est assez calamiteuse. Alors que avons atteint le "camp de base 2" à 5000 mètres d'altitude où nous sommes absolument seuls, avec une vue magnifique, Pierre commence à souffrir de maux de tête (étrange, on s'était pourtant bien acclimatés sur la route) et se couche. En fin d'après midi il fait sacrement froid et c'est le moment que choisit notre petit démon du foyer, notre indispensable réchaud Primus, (que nous avons tendrement surnommé Calcifer, pour ceux qui ont vu "Le château ambulant") décide de faire des siennes. Il avait déjà donné des signes de fatigue que nous avions interprété comme un encrassement dû à la mauvaise qualité de l'essence indienne, nous l'avions nettoyé, mais le problème persiste. Ce soir donc il fait froid, Pierre est HS, et je m'évertue à faire cuire des lentilles corails (après trempage 15 minutes suffisent normalement), mais Calcifer s'y refuse, il crachote, il s'éteint. Il faut le démonter, le nettoyer, le relancer. Au bout d'une demi heure l'eau atteint seulement l'ébullition, après une heure de cuisine dans le froid ça devient tout juste mangeable et on a dû consommer beaucoup d'essence (on a assez peur de ne pas en avoir assez pour le petit dej du lendemain). Autre problème, l'eau. La seule accessible sort de la moraine et est particulièrement chargée. Nous avons laissé notre filtre à Delhi et doutons que les pastilles suffisent pour la rendre potable (d'autant plus que nous avons rencontré un trekkeur tchèque qui redescendait malade après avoir utilisé cette eau). Soirée déprimante au camp de base, nous nous couchons avec un mauvais pressentiment pour le lendemain. Ça se confirme, le lendemain matin l'ascension est de toutes manières impossible, le sommet est complètement recouvert de nuages et il tombe un fin grésil qui recouvre progressivement le sol. On aurait pu rester une journée et attendre le lendemain des conditions plus propices mais on est d'une part un peu inquiets, car on risque de ne pas avoir suffisamment d'essence et on a un réchaud au fonctionnement aléatoire, d'autre part on a un peu peur que la neige dégrade les conditions d'ascension et que l'on soit un peu "just" en tennis et enfin Pierre a encore mal à la tête. C'est décidé on descend. Pas de regret cependant car le lendemain des nuages recouvrent encore le sommet.
 
 
Premier soir: Pierre met en fuite des dzos qui auraient bien voulu partager notre pitance.
Ils sont imposants mais heureusement parfaitement pacifiques
 
 
Deuxième jour: des sommets à perte de vue
 
 
Matin du troisième jour: sous le grésil
 
 
Matin du troisième jour: sommet sous les nuages, ascension compromise
 
 
Troisième jour: le temps s'améliore dans la descente, on en profite
 
 
Treks organisés: les mules portent les bagages

Retour à Leh d'où nous partons cette fois le matin pour le petit village de Choglamsar à une dizaine de kilomètres pour assister à une leçon que vient donner sa sainteté le quatorzième Dalaï Lama. Nous comptons prendre un bus, mais beaucoup de Ladakhi ont eu la même idée que nous et nous attendons en vain à la gare routière. Tous les bus sont partis et sont sans doute bloqués là-bas. C'est avec une vingtaine de personne dans un camion à bestiaux que nous faisons le trajet. Le rassemblement a lieu sur une grande pelouse. C'est le Woodstok bouddhiste! Les familles se pressent et s'installent sur le sol, protégés du soleil par des parapluies de toutes les couleurs. Les enfants jouent et le Dalaï Lama, assis sur une estrade explique quelques principes simples du bouddhisme. Des vendeurs de chips, de pop corn, de boissons circulent en périphérie. Des enfants courent un peu partout. L'ambiance est plus festive que religieuse. Le Dalaï Lama parle en tibétain, vient ensuite la traduction en Ladakhi. Nous sommes dans un petit carré de pelouse où il y a aussi une traduction en anglais. Au cours de la leçon de femmes en habits traditionnels offrent du thé beurré l'ensemble des participants. Nous devons d'ailleurs confesser que nous sommes bien plus intéressés par l'animation qu'offre les spectateurs que par la leçon plutôt lente et répétitive du Dalaï Lama.
 
 
Dans le camion vers Choglamsar
 
 
Foule rassemblée sur la pelouse
 
 
Le Dalaï Lama
 
 
Les parapluies, pour le soleil et la couleur
/ Retour sur le toit d'un bus
 
A Leh nous avons passé aussi des moments privilégiés à discuter avec nos hôtes. Le fils de la famille, qui a notre age, nous a gentiment raconté la vie du Bouddha et expliqué quelques principes bouddhiste comme la fameuse "roue de la vie" que l'on voit représentée dans tous les temples. Nous avons eu aussi un aperçu de la vie quotidienne d'une petite famille Ladakhi en été. Car en hiver c'est une autre paire de manches, quand tous les touristes et les commerçants népalais sont repartis, les Ladakhis affrontent des hivers rigoureux, les deux seules routes d'accès sont souvent coupées par la neige, il ne reste que le petit aéroport en fonctionnement. Puis il y a aussi les coupures d'électricité qui sont monnaie courante, le chauffage qui se limite au poêle dans une seule pièce, les produits frais qui disparaissent (à tel point que les Ladakhis végétariens par conviction sont contraints de manger du mouton)...
Le dernier jour nous recroisons Ben, un voyageur à vélo que nous avions rencontré en Iran. C'est un fieffé bricoleur et il nous rend un fier service: il diagnostique le problème de Calcifer. Visiblement la pompe du réchaud présente un petit défaut qui empêche la mise en pression correcte de la bouteille d'essence. Avec un petit bout d'adhésif (que nous complèterons par un petit bout de fil de fer) il nous répare le piston incriminé. On va pouvoir partir en randonnée en autonomie en étant plus sereins!
Dernière soirée à la guest house Taktok, pour nous faire plaisir la mère prépare des momos. Nous observons et plaisantons ensemble dans la cuisine. Elle propose de venir une ouvrir une "momo school" en France. Je suis sûre que ça marcherait du tonnerre! On observe donc, bien décidés à ramener cette bonne recette tibétaine en France. On se régale ensuite. Demain, avant l'aube, nous prendrons un bus en direction de Keylong où nous ferons une étape avant de continuer à vélo dans la vallée de Spiti.
 
Préparation des momos en famille

Une petite route qui monte, qui monte, qui monte

Du 8 au 17 août,

Après notre semaine de vélo dans l'Himachal Pradech, nous faisons une halte à Vashist, petit village près de Manali, pour nous reposer et nous préparer au long effort qui nous attend. Vashisht était à l'origine un hameau de montagne, mais il est aujourd'hui fréquenté par quantité de touristes étrangers. On y vient pour faire des treks, pratiquer le yoga ou la méditation, profiter des bains publics d'eau chaude ou fumer des charras (joints locaux) et ouvrir ses chakras. On trouve à Vashist nombre de hippies aux tenues extravagantes et bariolées. Nous pensons avec Pierre que l'Inde est la destination choisie par beaucoup de marginaux car tout y est toléré, personne ne s'étonne ou ne s'émeut des extravagances. Quant à nous, passé les courses de fruits secs, la recharge en essence et la découverte d'un petit restaurant de spécialités népalaise, on se lasse vite de cette ambiance. Vivement que l'on reprenne la route.
La route? Pour tout dire on l'appréhende un peu. Les 10 jours et 500 km qui nous séparent de Leh ne vont pas être de tout repos. Je regarde avec appréhension le profil que Tak nous a donné. Va-t-on parvenir à passer par là? Pourquoi s'est-on lancé là dedans?

Jour 1: Manali-Marhi
"C'est facile quand la baignoire est pleine"

On démarre doucement au matin et on entame la montée du premier col, le Rhotang la ("la" veut dire col). Ça commence plutôt mal car après le premier kilomètre on s'arrête pour inspecter mon vélo dont la roue avant semble frotter. C'est vraisemblablement un petit problème interne de roulement. On fera avec.
Sur le bord de la route quantité de petits magasins vendent ou louent des vieux manteaux de fourrure et des paires de ski (qui doivent bien avoir aussi une trentaine d'années); en effet la plupart des indiens n'ont pas d'habits chauds dans leur garde robe, les femmes montent au col en sari et sandales, les hommes en sandales et chemise. Nous sommes doublés par des jeeps et des voitures où ils se pressent avides de découvrir le froid et peut être la neige au col. Et oui, pour beaucoup d'indiens, c'est le comble de l'exotisme.
A notre grande surprise cette première montée ne nous pose pas beaucoup de problème.
La route, d'abord goudronnée, se dégrade (effondrements, bouts de piste...). Mais reste encore très praticable par rapport de ce qui nous attend après.
Début de route, encore plutôt bonne
Route Manali/Marhi
Lorsque nous atteignons Marhi, le terme de notre première étape, nous sommes dans la brume et il pleuviote.
Nous parvenons à trouver une chambre attenante à une dhaba (une dhaba, c'est le terme local pour désigner un petit restaurant, on pourrait traduire ça par "boui boui" en français) pour passer la nuit au sec. Confort rudimentaire, pas de drap bien sur, vieilles couverture, sol en béton, un filet d'eau glacée pour faire un brin de toilette à l'extérieur. Le soir en mangeant un classique dal-rice (lentilles et riz), nous observons, amusés la vie des jeunes hommes qui travaillent dans la dhaba. Ils sont tous groupés devant la télé, se tenant affectueusement par la main ou se serrant les épaules, pour regarder des séries. En Inde, un peu comme en Iran, aucune marque d'affection visible entre hommes et femmes en public; en revanche, les hommes entre eux se démontrent une tendresse qui, en Occident, paraitrait ambigüe.
Heureux et surpris de ne pas être si fatigués que cela, nous passons la nuit à 3300m.

Jour 2: Mahri-Sissu
"La mousson s'arrête au Rothang la"

La montée continue et devient cauchemardesque. Selon les mots de Pierre "c'est un combat!". Imaginez 17 km de montée sur une piste ruisselante de boue, doublés par les jeeps et les camions. Pendant trois heures nous pataugeons péniblement, poussant parfois les vélos, évitant les flaques. Un camion s'est embourbé devant nous, créant un énorme bouchon. Nous doublons cette file de véhicules et pendant quelques minutes nous avons un peu de répit sans circulation. Mais, il faut l'avouer, c'est la galère jusqu'au sommet.
Camion embourbé

Ouf, nous atteignons enfin le col: 3978 m. Autours de nous, les touristes indiens s'en donnent à cœur joie, certains font du poneys. La plupart sont montés au col juste pour la journée.
Le premier col est vaincu!

Après un déjeuner bien mérité dans une des tentes/dhabas, nous nous lançons dans la descente et tous nos soucis s'envolent tant le paysage est enchanteur.
On ne va pas beaucoup plus vite qu'en montée, c'est de la piste et du caillou (les amateurs de VTT de descente s'en donneraient à cœur joie!), mais c'est sec! La mousson s'est arrêtée au Rhotang la.
Nous nous faisons une compagne que nous baptisons Manali, une chienne qui nous suivra jusque dans la vallée. Un cycliste allemand, bien plus léger que nous, nous double à vive allure. Nous échangeons quelques mots, il deviendra un compagnon familier car il nous redoublera les deux matins suivants. La route est verte, cascades et cimes enneigées. C'est le panard!
Pierre et Manali dans la descente

Premier village dans la vallée: Koskar.
Si vous êtes observateurs vous pourrez voir un symbole bouddhiste sur la photo.
Une fois en bas, nous longeons une rivière jusqu'à la petite bourgade de Sissu. On retrouve du bitume lisse, mais de manière aléatoire, parfois, sans prévenir nous sommes à nouveau sur des cailloux, un pont de tôles, un gué...
A Sissu nous dormons dans un petit hôtel. Nous en profitons pour prendre une douche et faire la lessive. Ce sera notre nuit la plus luxueuse, nos hébergements deviendrons de plus en plus "roots" jusqu'à Leh.

Jour 3: Sissu-Darcha
"Le jour dans une belle vallée, la nuit dans un drôle de garage"

Bien reposés, nous continuons à descendre la vallée, nous arrêtant pour contempler les glaciers qui nous environnent. La route est facile jusqu'à Keylong, qui est la dernière ville du parcours avant Leh. Nous en profitons pour nous ravitailler: 500gr de sucre en poudre, raisins secs, lait en poudre, sans oublier 1kg200 d'avoine pour préparer notre porridge quotidien.
Petit village près de Keylong
Premiers stupas bouddhistes à Jispa
Nous atteignons Darcha à la nuit tombée. Une série de dhabas s'alignent près de la rivière. Un étrange individu nous accoste: dread locks, dépenaillé, cool attitude. Il nous dit que l'on peut dormir dans le garage d'un ami indien pour 50 roupies (environ 1€). Le garage est profond et contient 6 ou 7 lits, affaire conclue. On range les vélos et les sacoches tout au fond. On s'installe ensuite pour discuter avec un petit groupe: notre anglais aux dreadlocks, l'indien propriétaire du garage, un népalais et d'autres indiens. L'anglais est un grimpeur fou de blocs qui a repéré un site formidable à 30km de Darcha (1 jour et demi de marche à pieds) et qui y passent toute la bonne saison, il dort dans une grotte et vient se ravitailler à Darcha tout les dix jours. Je n'imaginais pas que la passion pour l'escalade pouvait aller jusque-là! On les quitte une petite heure pour un chowmein (nouilles chinoises sautées, une alternative au rice-dal) dans la dhaba d'à côté. Lorsque l'on revient ils en sont au whisky. On finit par accepter de partager un verre avec eux. L'anglais propose des charras et la conversation roule sur l'escalade, la religion, les vertus de la tsampa, la présence militaire dans le Kashmir tout proche... A dix heures, notre grimpeur, rond comme un polonais, s'effondre dans un lit et s'endort en marmonnant, nous nous couchons aussi dans des couvertures qui sentent le fauve et la porte du garage se referme jusqu'au lendemain.

Jour 4: Darcha-3km avant Zingzangbar
"La journée qui devait être repos"

Comme les vélos ont pris la pluie, la chaîne grince. Pour y remédier, au matin, Pierre demande à la dhaba un peu d'huile de cuisine. De toutes façons, depuis la Turquie nous n'arrivons plus à trouver de l'huile pour chaîne de vélo, face aux huiles trop épaisses pour moto ou voiture, l'alternative huile de cuisine n'est pas si mauvaise.
Aujourd'hui, pour nous reposer, nous avons prévu une petite étape, nous devons monter "seulement" jusqu'à Patseo (3800m) depuis Darcha (3200m). Au dessus de 3000m, pour s'acclimater, il vaut mieux éviter les trop gros paliers, et 600 mètres de dénivelé c'est déjà pas mal.
Ça monte, ça monte, jusqu'à Patseo où l'on ne trouve que deux dhabas peu hospitalières. Nous n'avons pas vraiment envie d'y passer ni l'après-midi ni la nuit.
Belle rivière tressée au dessus de Darcha
On fait une croix sur la journée de repos et on se décide à monter plus haut et à trouver un bivouac. Tâche ardue car il nous faut, en plus, une source d'eau. C'est près de ZingZangbar que Pierre dégote finalement un petit coin parmi la rocaille et d'étranges réservoirs souterrains (on n'a pas compris à quoi ils servaient). La tente est montée et nous y passons notre première nuit au dessus de 4000m.

Bivouac inespéré
Jour 5: Avant ZZbar-Sarchu
"L'étape qui nous a tué"

C'est aujourd'hui que l'on doit franchir le Baralacha la (4880m), et on s'y prend comme des manches. On part tard (9h30) et on s'épuise sous la chaleur dans la montée. Nos mains brûlées par le soleil (malgré la crème indice 50) nous font souffrir. On ne s'alimente pas assez, seulement avec une pause fruits secs. L'arrivée au col est interminable, tel un mirage, on croit chaque fois l'atteindre. On a l'impression qu'il s'éloigne à mesure que l'on avance.

Montée au Baralacha la



Travailleurs de la route.
Nous en croiserons sur tout l'itinéraire. Ce sont des hommes et des femmes qui travaillent dans de terribles conditions, sur des routes dangereuses et sans beaucoup d'équipement. Ils sont souvent logés dans des abris de fortune (tentes de plastique ou au mieux de toile) sur le bord de ces mêmes routes. On voit des femmes transporter des cailloux sur leurs têtes, des hommes s'échiner à briser des roches à la masse, parfois leurs jeunes enfants traînent désœuvrés à côté d'eux. Ils travaillent inlassablement à l'entretien de ces routes de montagne sans cesse à reconstruire car soumises à l'altitude, aux rigueurs de l'hiver... Ils passent leurs journées dans la poussière ou la fumée de goudron qui s'échappe de bidons. Cela correspond à la représentation que je me faisais des travaux forcés des "bagnes". C'est d'autant plus incompréhensible que sur d'autres sections de travaux nous avons pu constater que des engins modernes (pelles mécaniques, bennes, marteaux piqueurs) sont utilisés. Pourquoi alors faire travailler ces personnes d'une manière archaïque, pénible et peu performante? Nous sommes choqués et souvent mal à l'aise lorsque nous les croisons, pourtant la plupart du temps ils nous saluent gentiment.
Enfin, passablement altérés et fatigués, nous atteignons ce fichu Baralacha la.



Vue depuis le col


Ça y est, c'est parti pour la descente
La fatigue nous a rendu irritables et l'on se chamaille au sommet. L'altitude et l'énervement nous colle un mal de tête lancinant quand nous attaquons la descente vers 14h. Nous nous arrêtons pour manger à Barathpur première dhaba au début de la descente. Les aloo prantha (pain plats à la pomme de terre) et le rice dhal sont délicieux et abondants, mais arrivent sans doute un peu trop tard.

Nous continuons la descente vers Sarchu à toute vitesse (il est déjà 16h et il reste près de 30km!) et avec toujours un bon mal de tête. C'est comme si on sentait tous les cailloux de la route venir nous taper dans le crâne. Un doliprane arrange un peu les choses et nous permet enfin d'admirer la jolie plaine qui nous mène à Sarchu. Une rivière y a creusé un profond canyon. Le terrain, relativement meuble a favorisé la formation de très jolis motifs d'érosion. La lumière rasante empreint de douceur cet étrange paysage. Nous croisons quelques groupes de tentes sur la route mais ne nous y arrêtons pas, préférant pousser jusqu'à Sarchu pour réduire l'étape du lendemain qui promet d'être ardue.
Nous atteignons Sarchu où sont regroupées de nombreuses dabhas. Nous nous installons dans l'une d'entre elle qui propose des "beds". Comme il n'y a plus de place dans les dortoirs, on nous propose de dormir avec le propriétaire et sa famille directement dans la tente principale, celle qui fait boutique et restaurant. Les sièges pour les repas servent de lits. Nous sommes donc installés sur un vieux matelas où nous passerons la soirée et la nuit.
Les vélos, eux, sont dans la réserve.
Nous rencontrons un hollandais d'une cinquantaine d'années qui voyage en jeep jusqu'à Leh. Il nous parle de sa conversion au bouddhisme de manière simple et sincère. Il nous apprend que le Dalaï lama viendra donner des conférences dans les alentours de Leh durant notre séjour. Une opportunité que l'on tâchera de saisir. Des jeunes indiens qui font la "Manali-Leh road" en moto devisent et emplissent la tente d'une douce fumée de cannabis. Nous nous couchons tôt, dans la dhaba viennent encore se ravitailler des conducteurs de camion. Nous lisons studieusement dans nos duvets au bruit de mastications, de rires sonores et de rots de trois convives Sikh aux turbans colorés. On se croirait dans une taverne au moyen âge (c'est sans doute le livre que je lis "L'oeuvre au noir" de Marguerite Yourcenar, sur la vie d'un alchimiste au XVIème siècle qui influence cette vision). Enfin, vers 23h, la tente se vide et nous tombons dans un profond sommeil. Au milieu de la nuit, Pierre remue dans le drap de soie et me réveille. A peine éveillée, un violent mal de tête me saisit. Impossible de me rendormir, vite du paracétamol. Rien n'y fait, j'arrive à peine à somnoler un peu. Je ne supporterais donc plus l'altitude? Nous sommes à 4250m, comment la montée du prochain col à 4900 m et surtout la nuit suivante à 4700 m à Whisky Nulla vont-t-elle se passer? Pierre reste aussi éveillé et nous envisageons la possibilité de rester nous reposer une journée à Sarchu, mais l'inconfort de la dhaba ne nous y incite pas. Une autre alternative pour diminuer l'altitude de notre prochaine nuit est de doubler l'étape et, après avoir passé le Nakee la à 4900 mètres, continuer et passer le Lachung la (5065m) dans la journée pour dormir à Pang un peu plus bas (4530m).
Il est 5h30 et ça commence à s'activer dans la dabha. On ne pourra pas se reposer plus. C'est dur. Pierre propose de profiter de se lever matinal forcé pour tenter la "double étape" et ces 2 cols à près de 5000. On s'extirpe à regret de nos duvets, mais après un bol d'air frais, une tasse de thé et des aloo pranthas, nous sommes décidés à nous lancer.

Jour 6: Sarchu-Pang
"Double cols"

Nous voulons éviter de répéter les erreurs de la veille et préparons de quoi bien nous hydrater et nous alimenter tout au long de la journée. Nous croisons des membres du CAF de Toulouse de retour de trek dont le 4*4 fait une pause devant notre dhaba. Ils nous encouragent au moment du départ.
Nous avalons rapidement les 20 premiers kilomètres de plaine et attaquons les "Gata loops": une série de 21 lacets. En discutant politique tout le long, ça passe plus facilement! Le rayonnement solaire m'oblige à garder des gants.
Début des 21 "Gata loops"


Après ceux-là, il en reste encore quelques uns


Fin des "Gata loops"!

Ça y est nous avons fini les 21 lacets, mais ce n'était qu'un "amuse-roues", la suite est encore raide. On prend cette fois le temps de se ravitailler un peu et on finit, par atteindre, heureux, le Nakee la.
Nakee la : 4900 mètres!

Après quelques photos joyeuses il est 12h30 et nous décidons de pique niquer sans plus attendre au milieu des cairns et des drapeaux à prière. Nous préparons un porridge version royale avec fruits secs (raisins, figues, abricots) et noix (amandes, cajous), de quoi tenir l'après midi et passer le col suivant. Nos agapes sont interrompues par l'arrivée de 3 cyclistes suisses qui font la route dans l'autre sens. Après un bon moment d'échange nous entamons la petite descente qui nous mène au lieu dit "Whisky Nulla", bien nommé car il n'y a rien dans cette cuvette. Heureusement que nous ne sommes pas obligés de nous arrêter là et que nous avons le temps de continuer jusqu'à Pang.

Vue du col suivant, le Lachlung la, depuis le Nakee la
Nous entamons notre seconde ascension de la journée, on applique le "festina lente" (hâte toi lentement) qui est la recette qui marche pour ces cols de longue haleine. Nous faisons une pause sans nous rendre compte que nous sommes à 300 mètres du col. Du coup nous bénéficions d'une bonne surprise! C'est la fête! Nous avons réussi!

La fête au Lachlung la: 5065m!


Comme récompense nous plongeons dans l'étroite vallée qui nous mène à Pang. L'ingénieur lumière nous a concocté un magnifique éclairage.

Attention le camion te rattrape!
Nous descendons tout doucement, dégustant le paysage minéral coloré qui s'offre à nous. Les nuages jouent avec les montagnes et on observe des virgas (nuages dont la pluie s'évapore avant de tomber au sol).
Une merveilleuse descente

Nous sortons de cette vallée enchanteresse par un petit défilé et rejoignons la petite ville de Pang à la tombée de la nuit. L'endroit n'est pas très engageant: quelques tentes et abris de fortune pour les travailleurs de la route, des dhabas pour les camionneurs qui s'arrêtent, une petite base militaire et un vaste terrain vague et désert souillé d'excréments et de détritus plastiques. Nous nous installons dans une dhaba tenue par une mère et sa fille pour passer la nuit.
Terrain jonché de détritus derrière la dhaba
Cuisine à même le sol

Jour 7: Pang-Debring
"La traversée du désert"
Nous partons très tôt pour traverser la plaine des Mores. Nous sommes sur une vaste étendue recouverte de sable. On perd d'ailleurs la route principale un moment, empruntant des pistes au hasard. Elles sont souvent marquées par d'inconfortable ondulations (bosses régulières que créent les camions), parfois nous nous enlisons dans du sable. C'est plat mais pénible! Une angoisse saisit Pierre: allons nous avoir assez d'eau? Nous avons 5 litres sur nous mais ne sommes pas sûrs de trouver quoi que ce soit à Debring (où nous pensons devoir camper) et autours de nous, pas la moindre rivière ou source où nous recharger, c'est désespérément aride. La route est monotone, nous apercevons de temps en temps de petites tornades de sables.
Plaine des mores, au loin une fine tornade

Nous pique niquons sous le soleil torride de cet espace désolé d'un désormais classique porridge. Nous croisons trois autres cyclistes qui viennent de Leh après un périple au Népal. Ils nous apportent une consolation: oui, il y a une tente plantée non loin de Debring où l'on pourra trouver eau et abris. En début d'après midi le vent se lève. Vent de face bien sûr. Alors que nous approchons de Debring, fin de notre étape au pied du dernier col, les éléments se déchaînent. Le vent forcit au point de nous empêcher d'avancer, nous sommes sous un nuage de pluie qui s'évapore avant de toucher le sol et, après le passage d'un camion, nous apercevons, stupéfaits, une tornade de poussière de la largeur de la route qui se dirige droit sur nous. Nous n'avons que le temps de nous écarter (pour moi au prix d'un beau bleu sur le mollet) et de laisser passer cette furieuse qui me donne une grosse émotion.
La tornade que l'on vient d'éviter

Quelques minutes plus tard, comme par enchantement, nous sortons de la tourmente et apercevons deux tentes solitaires dans la plaine sous un soleil de plomb. Notre oasis! Nous nous installons dans l'une d'entre elles et goutons un repos bien mérité. Nous y faisons une sieste et sympathisons avec nos hôtes, deux hommes d'une quarantaine d'années. Il nous mettent de la musique Ladakhi (sur un vieux poste K7) et l'un deux essaye les vélos. Nous nous faisons un autre ami, que nous surnommons l'"acteur". Il nous a séduit par son visage charismatique et sa gentillesse et nous a exhibé un diplôme de figurant dans un film français intitulé "la vallée des fleurs". Nous tacherons de le regarder au retour!
L'"acteur"
Vaisselle dans la dhaba: il faut économiser l'eau, il n'y a que 2 bidons à l'extérieur pour tous les usages

Il fait une chaleur presque insupportable alors que nous sommes à 4700 mètres d'altitude. En fin d'après midi un nouveau changement de temps. Le vent se relève et forcit, la température chute brutalement. Je me couvre de toutes mes épaisseurs, bonnet et collant en polaire compris. Dans des conditions pourtant rudimentaires, nos deux hôtes nous mitonnent un délicieux et copieux rice dal accompagné d'une omelette. Ils s'occupent de nous et calfeutrent les ouvertures de la tente pour nous éviter les courants d'air. A 21h nous sommes couchés, le vent siffle rageusement et fait claquer la toile de tente de la dhaba. Espérons que ça se calme pour notre dernier col demain.

Jour 8: Debring-Karu
"Dernier col"
Nos adorables hôtes sont les deux du milieu,
tous les autres sont des camionneurs qui voulaient aussi être sur la photo!

Au matin tout est redevenu calme, le dernier col, le Tangla la qui culmine à 5360m se dresse devant nous comme l'ultime barrière avant Leh. Nous montons calmement en nous ménageant une pause thé. C'est l'occasion de nous offusquer lorsqu'un motard s'arrête devant nous pour un problème technique et balance sans vergogne un bidon d'huile usagé dans un torrent. Aucune conscience environnementale, même pour les motos qui sont pourtant venu apprécier le paysage sauvage de la "Manali/Leh highway".
Vue de la montée

A midi nous atteignons le col. Il y a même une tente solitaire qui nous attend, nous y buvons une noodles soup (soupe aux vermicelles chinois lyophilisé de marque Maggi, très populaire dans la région) et de thé au lait. Maintenant c'est vraiment gagné, il ne reste plus qu'à descendre 60 km jusqu'au fond de la vallée.
Dhaba du Tanglang la (5,360m)
Un camion qui a raté un virage
Regard en arrière vers le col
Nous croisons un troupeau de chèvres pashminas, "du gouvernement", nous explique le berger, fonctionnaire de haute montagne. Ces bestioles sont à leur aise à plus de 5000 mètres d'altitude.
La route en descente est en très mauvais état, tout en cailloux. C'est donc tout lentement que nous quittons les hauteurs désolées pour revenir à la vie. Premiers troupeaux, premières cabanes de bergers et ... premiers yaks*! (*des dzos en fait pour les puristes, un croisement entre la vache et le yak).
Retour de la verdure et du macadam!

Premiers "Dzos"
Puis arrive le premier village: Rumtse. C'est un enchantement. Nous découvrons l'habitat Ladakhi (proche de l'habitat tibétain), des maisons de briques de terre blanchies, aux toits plats en terrasse où sèchent la paille et les bouses de yak (réserves de combustible pour l'hiver) et où s'agitent aux vent des drapeaux à prière multicolores. L'eau coule autours du village vert et riant. Des murets faits de galets ou de briques de terre séparent de verts champs de blé, aux formes arrondies s'adaptant au relief.
Quantité de stupas, construction religieuses blanches, dont certains semblent "fondre".
Premiers gompas, monastères accrochés dans les montagnes.
Nous nous arrêtons boire un "lemon tea". Rumtse c'est notre retour à un monde facile et hospitalier.

Sur chaque pierre, un mantra (prière) est gravé
Village de Rumtse
Gompa (monastère)

La route qui mène à Upshi emprunte un canyon. De ses flancs se détachent d'immenses strates de roche rouge, effilées comme des poignards. Notre vallée rejoint ensuite a vallée de l'Indus, beaucoup moins jolie. En arrivant près d'Upshi j'ai soudainement un "bad stomach", nous nous pressons d'entrer à la ville pour chercher un hébergement. Nous sommes très déçus, Upshi est une ville de passage sans charme. Nous regrettons de ne pas nous être arrêtés dans les villages précédents. Il n'y a en outre qu'une dhaba qui propose un hébergement, sans toilettes. Nous prenons la décision irraisonnée de continuer plus loin en espérant trouver un endroit plus confortable. Malheureusement la nuit tombe, la route n'est pas aussi facile que nous pensions. Elle est vallonnée, traverse une interminable zone militaire, et quand nous atteignons le village suivant, Karu, nous apprenons qu'il n'y a rien pour y dormir. Il fait déjà nuit noire et impossible d'aller plus loin. Pierre discute alors avec un restaurateur pour lui demander l'hospitalité (nous pourrions dormir dans la salle de restaurant et partir à l'aube s'il est d'accord) mais celui ci-refuse et nous renvoie vers une autre commerçante. Elle se montre d'une extrême gentillesse et nous propose de nous prêter sa chambre. C'est une petite pièce, sans eau courante, bien qu'elle y fasse de la cuisine (il y a un évier avec un bidon à côté). Quant aux toilettes, il faut aller se soulager comme tous les habitants derrière les maisons. Nous sommes surpris par ce qui nous semble un archaïque manque de confort. Pas de toilettes, pas même des toilettes sèches dans tout le village. Cependant nous sommes heureux d'avoir un petit coin pour dormir. Après ces 92 km, nous en avons bien besoin.
Jours 9 et 10: Karu-Thiksey-Leh
"Une pause bouddhiste"
A cinq heure nous rendons la clef à notre généreuse bienfaitrice. Ayant toujours mal au ventre, je pédale avec difficulté. Pierre comme d'habitude n'a rien attrapé, le chanceux! C'est un moindre mal d'être malade au moment où nous avons retrouvé la civilisation. Nous passons devant le beau monastère de Thiksey, et décidons de nous arrêter là. Un hôtel lié au monastère propose des chambres rudimentaires mais qui nous paraissent d'un incroyable confort: un lit, un robinet d'eau froide et des toilettes à la turque. On n'avait pas eu ce luxe depuis une semaine.
Je me requinque petit à petit et nous profitons de la journée pour visiter le curieux village de Thiksey dominé par son impressionnant gompa. Il est accroché sur un éperon rocheux. Les lieux de cultes sont tout au sommet. Sur les pentes sont construites de petites maisons réservées au moines. On constate que beaucoup sont à l'abandon. Cela ne veut pas dire que le monastère se meurt, au contraire, des ouvriers construisent de nouveaux stupas, et il existe un grand bâtiment, plutôt neuf, où logent des moines et quantité de novices. On a plutôt l'impression que les constructions nouvelles sont favorisées par rapport à la rénovation des anciennes bâtisses délabrées. Au sommet nous visitons la salle de prière où a lieu les cérémonies journalières (ou "pujas"). D'autres petites salles nous sont ouvertes par des moines. Il y a une ancienne bibliothèque qui contient des prières et autres sutras soigneusement enveloppés dans des tissus colorés et rangés sur des étagères de bois. Dans toutes les salles, de belles sculptures et peintures représentent des bouddhas illuminés (bodhisattvas) ou des personnages terrifiants (on a apprendra plus tard que l'aspect terrible de ces "dharmapalas" est censé représenter la lutte éternelle contre l'ignorance). Une salle est même interdite aux femmes, trop sensibles elle ne pourraient pas supporter la vision de ces divinités effrayantes, c'est "pour les protéger" nous explique un moine. Dans une belle pièce, aux multiples ouvertures et à la vue imprenable sur la vallée, se trouve un énorme bouddha (14 mètres de haut), le "futur bouddha" ou "Maitreya". Toutes les salles sont faites avec de belles poutres, le bois est présent partout, associé à l'encens il donne une odeur particulière, très agréable à ces pièces. On retrouvera d'ailleurs cette même odeur dans tous les monastères que nous visiterons par la suite. Les couleurs vives, surtout rouge, jaune et bleu rendent l'atmosphère beaucoup moins austère que celle de nos églises. On entre dans une religion et une symbolique qui nous est complètement inconnue.
Gompa de Thiksey
Vue sur le village de Thiksey depuis le monastère,
on remarque très nettement la limite des canaux d'irrigation
On décide d'assister à la puja matinale du lendemain, on est très curieux d'en savoir (comprendre) un peu plus. Motivés, nous nous levons à 5h pour être à 6h dans la salle de prière. On s'assied au fond et on patiente une bonne demi heure avant que ne commence réellement la cérémonie. Un des moines nettoie la salle, l'embaume d'encens. On a été mal renseignés, ce n'est que vers 6h30 que tout commence. Les moines assis sur des nattes recouvrent leur défroque rouge d'un tissu jaune et, sous l'égide d'un moine plus âgé, récite des prières d'une façon qui nous paraît totalement incongrue: il parlent d'une voie grave et monocorde, et semblent ne pas s'entendre, récitant en décalé. Cette impression est bien sûr fausse, car, à certain moment tous s'interrompent de manière parfaitement synchronisée pour taper dans les mains, jouer des instrument de musique ou diminuer progressivement le volume sonore jusqu'à un murmure. La musique est aussi étrange: il y a des tambours, de longues et de courtes trompettes et des conques (coquillages). A un moment précis ils se mettent à jouer de bon cœur et le résultat nous parait une véritable cacophonie. L'ensemble est assez répétitif et monotone. D'ailleurs beaucoup de moines n'assistent pas à la totalité de la cérémonie; certains arrivent après le début, font le salut bouddhiste (ils joignent les main devant leur front, leur poitrine, leur ventre, se prosternent au sol et répètent l'opération plusieurs fois) et se joignent à leur collègues. Certains s'en vont sans plus de cérémonie. Heureusement nous sommes distraits par l'observation des novice, ces moinillons qui doivent avoir à peine une dizaine d'années et qui piaffent d'impatience, s'en donnent à cœur joie quand il s'agit de faire du bruit avec la conque ou de servir le thé à leurs ainés. Il vont et viennent, transportent de belles et lourdes théière de fer blanc contenant du thé au beurre de yak (le thé beurré est la spécialité du Tibet) auquel il rajoutent de la tsampa (farine d'orge grillé). Et oui, la cérémonie matinale est aussi l'occasion pour les moines de prendre leur petit déjeuner. On a le ventre qui gargouille à les regarder. A 8h30 nous n'en pouvont plus de ces psalmodies graves et n'avons pas le courage d'attendre la fin de la cérémonie. Nous quittons la salle à la fois blasés de puja et insatisfaits de ne comprendre vraiment rien à ce qui se passe (nous sommes tout de même les touristes qui ont tenu le plus longtemps!). Le crochet que l'on fera plus tard dans la vallée de Spiti nous réconciliera avec le cérémonial bouddhiste.
Le "futur bouddha" ou "Maitreya", le reste de son corps est à l'étage du dessous.
/ Pendant la puja, un moinillon déguste son thé et sa tsampa.

Pot à tsampa et théières

Nous quittons notre retraite de Thiksey pour atteindre l'objectif de notre voyage: la ville de Leh.
La route qui y mène n'a plus grand intérêt.
Dans toutes les maisons et les échoppes de Turquie il y avait des portraits d'Ataturc, en Iran c'était les deux aïatollah Khomeini et Khameni qui s'affichaient partout, et ici au Ladakh la grande star c'est le Dalaï Lama. On ne compte pas le nombre d'affiches, photos, produits dérivés en tout genre qu'il inspire.
La star c'est lui, le Dalaï lama en photo au fond.
Dans une dhaba de Choglamsar avant d'arriver à Leh.

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