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SENEGAL

Le dernier "coin de la boucle"

Du 5 au 12 décembre,

En fin de matinée, nous franchissons l'affluent du fleuve Sénégal qui marque la fin du Mali. Il était tant, notre visa expire le soir même. La ville frontière sénégalaise est sale, jonchée de détritus, mais peut être légèrement plus moderne que les villes maliennes que nous venons de traverser : il y a plus de constructions en "dur". Dans un restaurant "crasspec", j'avale difficilement un maffé ou "riz au gras", c'est à dire du riz et une sauce à base de pâte d'arachide où sont noyés deux ou trois morceaux de viande tendineux. Anne-Marie, ayant mieux observé l'état du restau a préféré s'abstenir et se contentera de pain et de bananes à la prochaine pause. En effet, les os des derniers clients sont toujours sur les tables graisseuses et les mouches festoient gaiement. La prochaine fois, je tâcherai d'être plus perspicace avant de commander. Enfin bon, bien éduqué, je finis mon assiette.
 
 
Miam, le bon Maffé / Joli arbuste
 
L'après midi, nous continuons à enchaîner les kilomètres sur le ruban d'asphalte qui traverse un interminable paysage de brousse plate : de majestueux baobabs, des herbes décolorées, desséchées, de la paille au sol, et des bosquets piquants. Seule note de fraîcheur, de petits arbustes ressemblant à de mini baobabs qui sont décorés de fleurs roses claires. Le lendemain, rebelote, encore plus de 100 kilomètres sur cette route monotone, très roulante et peu fréquentée. Seuls quelques camions et quelques bus nous dépassent de temps en temps, parfois, un quatre quatre. Nous en doublons aussi, en panne au bord de la chaussée, leurs chauffeurs s'affairant sous l'engin pendant que les passagers attendent patiemment en devisant. Nous atteignons Tambacunda, une grosse bourgade où nous passons la nuit dans une chambre de la maison des œuvres catholiques. Au programme de la soirée, une bonne douche, ça fait du bien, une grosse lessive à la main et la préparation d'une version de couscous maison avec des légumes achetés sur un marché à l'entrée de la ville : chou, igname, tomates, navet, le tout bouilli avec un bouillon cube et du paprika et accompagné de semoule. Quel plaisir de réintroduire les légumes dans notre alimentation! Le lendemain, dans la cour de l'association catholique se tient une formation pour les cultivateurs de coton.
Nous reprenons la route qui est toujours aussi facile: 70 km dans l'après midi, un bivouac à l'écart de la route et 162 le lendemain, record battu! "C'était le bon jour, on est parti tôt, les conditions étaient idéales: bon revêtement, ciel couvert, pas trop chaud, route plate et monotone, peu d'occasions de prendre des photos. On a juste eu peur pendant les travaux au milieu de l'étape mais heureusement il n'y en avaient que 5 kilomètres. Et puis les jambes ont suivi". Voilà ce qu'Anne-Marie aurait dit à Gérard Holtz s'il avait été à l'arrivée.
 
 
Traversée d'un primate sur notre route rectiligne

Plus on va vers l'Ouest, plus la population se densifie, nous croisons de plus en plus de villages et de petites villes. Bien pratique pour s'arrêter manger : un sandwich à l'omelette ou un tiéboudien, "riz au poisson". C'est le plat national sénégalais : un lit de riz épicé sur lequel sont posés des légumes bouillis et des poissons. Contrairement au Mali qui n'avait pas d'accès à la mer, le Sénégal a une grande longueur de côte et le poisson y est moins cher que la viande. En guise de dessert, un nescafé au lait concentré sucré qui nous rappelle ceux que nous buvions en Inde. Pendant ces repas, nous devisons avec les Sénégalais. Le vélo fait parti de leur culture et ils aiment l'idée de voyager à coup de pédales. Sur la route, nous faisons parfois la course avec des jeunes à bicyclette. Souvent, ils se servent de leur vélo pour transporter tout un chargement hétéroclite : des sandales, du bois, des seaux... Et puis, toujours les élèves qui vont et viennent de l'école où du collège. Généralement, avec leur vélo à une vitesse, ils nous distancent en montée, nous les rattrapons en descente et nous sommes aux coudes à coudes sur le plat. Depuis Bamako, près des villes, nous avons aussi croisé de nombreuses personnes faisant du footing sur le bord des routes, pieds nus ou en nu-pieds en plastique. Beaucoup de Maliens et de Sénégalais ont l'air d'apprécier l'effort physique. La population qui se densifie, c'est aussi plus d'enfants qui nous crient "toubab" (le blanc en wolof), certains, souvent les plus jeunes, sont mignons avec leur petit coucou hésitant de la main, d'autres beaucoup plus moqueurs. Et il y a toujours les demandes de cadeaux. Tout les intéresse, nos montres, nos vélos,... Une fillette aurait même été preneuse du mouchoir en tissu sale d'Anne-Marie. La demande est des fois faite sur un ton humoristique mais la plupart du temps, c'est sérieux. A chaque fois, ils emploient l'impératif : "Donne moi l'argent!". Cependant, ce mode n'a pas la même valeur que chez nous car ici la communication est plus directe moins policée. Il faut s'habituer.
 
 
Le portable est en train de se répandre comme une trainée de poudre en Afrique de l'ouest. C'est un moyen de communication intéressant pour ces pays où il y a très peu de téléphones fixes.
Orange mène la danse et fait de la pub à l'entrée et à la sortie de chaque village, il a même installé les premières affiches 4 par 3 du Sénégal.
 
 
Le lendemain, nous arrivons à Kaolack à la mi-journée. Après avoir traversé un bidonville où des abris de fortune sont construits sur une sorte de terrain vague jonché de détritus, nous atteignons le centre plus moderne. Nous nous installons dans un hôtel modeste. Comme d'habitude, nous suspendons notre moustiquaire au dessus du lit et comme toujours ou presque, durant la nuit un moustique réussit à passer à travers les mailles du filet et à jouer les vampires. En Afrique, l'endroit où nous sommes le mieux installés pour dormir, c'est l'hôtel Lafuma comme nous l'appelons, nous entendons par là notre tente! Elle est imperméable aux moustiques et c'est là qu'il fait le moins chaud.
Le lendemain matin, au marché, un commerçant qui vend à Anne-Marie des pommes de terre et des oignons lui explique qu'il vit six mois de l'année dans les Yvelines mais qu'il espère bientôt pouvoir rester définitivement au Sénégal. L'individualisme français lui déplaît. Évidemment, la mentalité française où les liens familiaux et sociaux sont plus laxes, est bien différente de celle des Africains tournée sur la communauté. Plus de liberté individuelle en France? Plus de solidarité en Afrique? Quand Anne-Marie lui demande de la pâte d'arachide, le commerçant lui indique spontanément son concurrent d'en face.
Nous repartons en début d'après midi et c'est lorsque nous effectuons notre 7080ème kilomètre qu'un rameau d'épineux vient percer la chambre à air le la roue arrière du -pourtant robuste- "sanglier" d'Anne-Marie. Première crevaison, on avait oublié que cela pouvait nous arriver! Après une nuit dans une forêt d'eucalyptus, nous voilà à Fatick où, alors que nous faisons le plein d'eau au bien nommé office des eaux et forêts, nous rencontrons un sympathique étudiant d'anglais de la Fac de Dakar qui fait son service militaire (deux ans facultatifs au Sénégal). Il est enchanté de converser avec des interlocuteurs anglophones ce qui est plutôt rare au Sénégal.
 
 
Idrissa et Pierre

 
De plus en plus de palmiers, l'océan ne doit plus être très loin. Nous prenons une petite route secondaire. Nous remarquons avec amusement que ce ne sont pas des graviers qui composent le bitume de la chaussée mais des morceaux de coquillages.
 
 
Route de N'Dangane, les coquillages remplacent le gravier 
 
Au bout de la route qui s'avère être une impasse, contrairement à ce qu'indique notre carte, N'dangane, un petit village touristique au bord d'une mangrove (écosystème situé dans la zone de balancement des marées la plupart du temps situé à l'embouchure de fleuves, dans cette zone humide on trouve des plantes ligneuses, la plus emblématique est le palétuvier)  qui se situe dans l'estuaire du  fleuve Saloum. Elle est peuplée de milliers d'oiseaux que nous prenons plaisir à observer le matin. Nous sommes encore en basse saison mais ils y a des "toubabs", en l'occurrence surtout des français en retraite venus passer l'hiver au chaud. Nous sommes très sollicités par des guides pour des tours en pirogue pour visiter les îles du Saloum. Bien qu'elles soient surement intéressantes, nous n'avons pas envie de ballades touristiques. Pourquoi? Sommes-nous devenus désabusés ou pingres? En tout cas, les tours organisés, les guides faussement amicaux nous sortent par les yeux, nous n'avons envie pas envie de ces "relations touristiques" avec les autochtones, ni de cette consommation standardisée de produits touristiques qui devient malheureusement le lot de beaucoup de jolis endroits du monde.
 
 
 
Pirogues de N'Dangane
 
 
Entrée de Joal, une grande décharge fumante a investi la mangrove

 
Le lendemain, nous empruntons une piste en latérite pour rejoindre Joal. La mangrove à l'entrée de la ville sert de décharge. Un panneau indique que Total va financer la réhabilitation du site. Cependant, il faudra bien mettre ces déchets quelque part. Toutes les villes africaines que nous avons traversées étaient entourées d'une "ceinture" de détritus. Absolument rien n'est prévu pour les traiter. Nous entrons en ville et tombons face à une étendue d'eau calme à peine troublée par un léger clapotis qui vient lécher une plage sans fin. Nous sommes face à l'Atlantique, dans le dernier "coin de notre boucle"...
 
 
L'Atlantique!