logo

Les vallées de Spiti et de Kinnaur

Du 30 août au 08 septembre,

Début septembre c'est encore la mousson. C'est en partie pour cela que nous ne sommes pas pressés de quitter l'Himalaya. Nous avons aussi envie de faire un crochet à l'Est dans la vallée de Spiti que l'on nous a décrite comme un autre bout de Tibet en Inde, authentique et secret. Nous rajoutons donc une petite frisette à notre itinéraire de retour. Au lieu de revenir par Manali en passant le Rhotang la (le premier col de la route Manali-Leh), nous continuerons à l'Est par la vallée de Lahaul, passerons le Kuzum pass (4550m) et descendrons la vallée de Spiti le long de la rivière du même nom puis la vallée de Kinnaur le long de la rivière Sutlej. Cet itinéraire constitue une boucle qui nous ramènera à notre point de départ himalayen: Shimla. 
 
Nous sommes un peu fainéants au départ et décidons de ne pas pédaler pour passer le Kuzum la.  Nous avons eu des informations fraîches de la part de Ben (l'ami cycliste qui nous a aidé à réparer notre réchaud) et la route avant le col est vraiment mauvaise. On économise donc un peu de temps et d'énergie et le bus depuis Keylong nous dépose dans la ville de Kaza, au début de la vallée de Spiti. C'est une bourgade qui n'a rien d'extraordinaire, mais c'est le point de départ obligé de tous les voyageurs qui souhaitent s'aventurer dans cette vallée. Il faut en effet y faire une demande de permis. Pourquoi un permis? On se le demande. Sans doute pour contrôler les voyageurs qui s'aventurent si près de la frontière chinoise? Un check post n'aurait-il pas amplement suffit? La demande de permis à Kaza est en tous cas une bonne occasion de découvrir la bureaucratie indienne. Il faut d'abord se rendre dans un bureau poussiéreux (à l'ancienne sans ordinateur, avec placards en fers blancs où s'accumulent des dossiers), où un fonctionnaire acariâtre (et nous n'avons rien contre les fonctionnaires!), armé seulement d'un stylo, d'un tampon et d'un pot de colle vous délivre un feuillet et vous dit d'aller le faire viser par la police, sans vous indiquer où trouver le poste. Il faut marcher un bon quart d'heure pour apporter ce document à la police, qui appose un tampon et une signature sans même regarder votre passeport. Pour finir il faut retourner au bureau avec le papier tamponné et deux photos d'identité, retrouver le fonctionnaire, qui, de mauvaise grâce, appose un nouveau tampon sur le feuillet, y colle une des photos et ajoute la deuxième à un grand livre, un trombinoscope géant. Prévoir une demi journée pour plonger dans cet univers kafkaïen.
 
Dans la rue nous rencontrons Mica, un américain de notre age avec qui nous passons la soirée. Après avoir fini ses études d'ingénieur Mica s'est envolé pour l'Inde et voilà plus de 2 ans qu'il se ballade à pieds dans l'Himalaya (et un peu partout ailleurs dans le sub continent), collectant de jolis clichés. Voici l'adresse de son site Internet: www.micahimages.com.

Après avoir essuyé une journée de pluie nous enfourchons nos montures et partons explorer la vallée de Pin en rive droite de la rivière Spiti. La trentaine de kilomètres qui nous y mène est assez pénible car nous pédalons avec un fort vent de face. Nous sommes cependant récompensés par la découverte du village pastoral de Guling, qui semble encore vivre de manière traditionnelle.
 
 
Plus que trois kilomètres face au vent avant Guling

Nous montons jusqu'au monastère de Kungri qui se dresse 300m au dessus du village et visitons la salle de la puja. Elle est décorée par 1000 petites figurines de bodhisattvas toutes identiques couvrant l'ensemble des murs latéraux. Encore une fois nous sommes surpris par la culture bouddhiste. Que signifie une telle répétition?
Juste à côté du monastère une guest house est tenue par des moines. Une parfaite retraite, nous nous y installons.
 
 
Petite vue de la vallée de Pin
 

 
Enfants de Kungri
 
 
Novices turbulents du Gompa de Kungri

 
Au cours de notre périple dans ces vallées himalayennes, nous rencontrerons beaucoup de cyclistes. La plupart sont venus spécialement pour faire cet itinéraire. Sans le savoir nous faisons donc une grande classique. Les premiers en date sont un couple de cyclistes autrichiens, la cinquantaine, une forme et un enthousiasme qui donnent confiance en l'avenir. Ils font la boucle Spiti/Kinnaur en sens inverse de nous et explorent toutes les vallées. Nous bénéficions de bons conseils et pouvont prendre une photo de leurs cartes (nous avions perdu la notre au cours de la journée). C'est amusant de comparer deux cartes indiennes, toutes les distances sont différentes. Les cartes touristiques que nous utilisons sont truffées d'erreurs et réservent beaucoup de surprises sur la route.
Le soir un des moines nous prépare un copieux rice dal. En cours de repas, la lumière s'éteint, une habituelle coupure de courant. Nous finissons la soirée à discuter autours d'un chaï à la chandelle.

Nous nous couchons tôt et nous levons aux aurores pour assister à la puja matinale. La cérémonie est beaucoup moins formelle qu'à Thiksey. Les moines nous offrent une natte pour nous assoir, du thé et du pain tibétain (chapati en beaucoup plus épais). Il y a beaucoup de novices et peu de moines âgés. Le second enfant d'une famille est traditionnellement placé dans un monastère, mais il n'embrasse pas forcement toute une carrière monastique. Beaucoup abandonnent à l'adolescence.
La puja de Kungri dure une petite heure et nous ne nous y ennuyons pas comme nous le craignions après notre première expérience à Thiksey. Les chants sont beaucoup plus rythmés, nous sommes cette fois tombés sous le charme.
 
La journée est aussi l'occasion d'observer les travaux des champs au village. C'est la fin de l'été, le moment de moissonner le blé et de faire sécher les bottes. Des dzos piétinent les épis pour extraire la précieuse céréale, la base alimentaire des habitants de cette région. Des femmes retournent les bottes toute l'après midi. 
 
Séchage des bottes de foin à Kungri
 
Pendant que les jeunes villageois travaillent les moinillons s'ébattent. Nous nous demandons quelles sont les occupations des moines en dehors des deux pujas journalières.
En fin d'après midi il se met à pleuvoir. En catastrophe les paysans essaient de protéger les bottes qui séchaient, les couvrent de bâches plastifiées. Toute une journée de travail gâchée, nous sommes attristés devant ce fiasco.
 
 
Travail monastique
 
Dès que la nuit tombe la température chute. Dans le monastère de Kungri nous avons un aperçu du froid, de l'isolement et de l'ennui qui doivent accompagner les froides soirées d'hiver. Comme tous les soirs l'électricité est coupée, nous mangeons un nouveau dal rice à la chandelle. Dans l'austérité de notre petite chambre glacée nous essayons de travailler un peu.
Le lendemain, après un petit déjeuner constitué d'une omelette et de chapatis, nous reprenons les vélos et quittons la vallée de Pin. Depuis la vallée de Spiti nous montons cette fois en rive gauche en direction du monastère de Dankar qui se dresse à 4000 mètres d'altitude. Nous nous échinons toute la matinée dans une longue montée sur une piste. Nous sommes obligés de pousser les vélos en haut.
 
 
 
Piste qui monte vers Dankar
 
 
Enfin, après plusieurs heures d'effort nous arrivons en haut d'un éperon. Un fort en ruine est exposé au vent. La vision qu'il nous offre est dramatique. Nous abandonnons les vélos pour marcher dans l'ancien village à côté du fort; des maisons sont bâties sur des pentes vertigineuses.
 
 
 
Arrivée au fort en ruine
 
 
Beaux baudets 
 
 
Le nouveau monastère et le nouveau village sont de l'autre côté, protégés dans un cirque, un écrin de roche.
 
 
 
Vue de la vallée de Spiti et du village de Dankar
 
Nous nous rendons au nouveau monastère. Comme à Kungri, il y a une petite guest house attenante. Nous nous y restaurons (un dal rice pour changer!) et rencontrons deux français qui ont la bougeotte. Mickaël et Sandrine  arpentent  l'Inde pendant 8 mois. Tous deux infirmiers de profession, ils ont vécu en Suisse, en Guyane, et ont sillonné l'Amérique du Sud pendant près d'une année. Ils tiennent un blog de leur voyage et publient de très belles photos à l'adresse suivante www.indiaandco.canalblog.com.
Après le repas nous abandonnons l'idée de continuer le vélo. Le temps s'est couvert et il commence à pleuvoir. Nous décidons d'assister à la puja de l'après midi du monastère. Nous sommes désormais devenus amateurs! La puja de 16h de Dankar est un beau bazar. Toute une rangée de novices s'agitent et les anciens ont bien du mal à les faire se calmer, pendant les prières un novice armé d'un balai fait le ménage dans la salle et un moine distribue des roupies (il entre avec une grosse liasse qu'il répartit  entre tous les moines présents). Il y a aussi une distribution de pains frits.  On nous en donne deux. Certains moines font une réserve en ramènent une douzaine avec eux. Les pujas ne sont pas que des moments sacrés, elles ont aussi une vocation sociale pratique dans la vie du monastère.
Avec Sandrine et Mickaël nous visitons l'ancien monastère. Des moines nous invitent à prendre un thé, puis nous ouvrent rapidement quelques salles et réclament enfin une "donation". Nous sommes en Inde et même les lamas ont le sens du business. A la guest house le soir, on se réjouit de manger des momos, soit disant "veg". Une forte odeur et un goût prononcé nous font tous faire la grimace à la première bouchée. "Si, si ils sont veg, nous assure notre hôte, ils sont veg mélangés à du mouton". Puis il finit par nous avouer que ce n'est pas vraiment du mouton, mais de la chèvre. Nous reprenons un dal rice.
Au matin, le ciel est dégagé, de notre promontoire nous avons une belle vue sur les deux vallées, celle de Spiti et celle de Pin. Les rivières s'entrelacent comme des serpents d'argent. Nous descendons la rivière de Spiti sur une route cinégénique jusqu'à la petite ville de Tabo. Jolie bourgade où se cultive le blé, où poussent les tournesols et où fleurissent aussi beaucoup de guest houses. Nous y visitons un ancien monastère qui date du Xième siècle. 
 
Nous nous posons beaucoup de questions sur le bouddhisme. J'ouvre ici une petite parenthèse pour résumer quelques éléments que nous avons appris sur cette philosophie.
Le bouddhisme trouve son origine environ six siècles avant Jésus Christ. A cette époque, dans un royaume près de l'actuel Népal vivait le prince Siddhartha Gautama. Il menait une vie heureuse, luxueuse, insouciante et protégée. S'ennuyant un peu dans son palais, il décida un jour de faire une escapade au dehors. Lors de sa promenade il aperçût un vieillard qui peinait à marcher, un pestiféré et une famille pleurant un proche décédé près du bûcher. Ces visions lui firent prendre conscience de la souffrance humaine, de la maladie, de la vieillesse et de la mort, maux auxquels, même protégé dans son palais, il n'échapperait pas. Cette découverte l'ébranla profondément. Il décida de tout quitter de sa vie précédente et de se consacrer à la recherche du salut. Il s'adonna à la méditation et adopta une vie ascétique. Il remit plus tard en cause les pratiques méditatives trop austères et préconisa une "voie moyenne", une discipline spirituelle ni trop dure, ni trop laxiste. C'est sous un pippal (une espèce de ficus) qu'il atteint l'illumination, c'est à dire la compréhension de la nature, de la souffrance humaine et des moyens pour y remédier. Il devint alors Bouddha: l'éveillé. Il consacra le restant de sa vie à enseigner la sagesse qu'il avait découverte.
Il existe actuellement trois principales écoles bouddhistes (qui se divisent elles-mêmes en un nombre incalculable de courants ou sectes).
La plus ancienne, le Théra-vâda ou Petit Véhicule est directement hérité des enseignements du Bouddha. Pour la décrire simplement, l'objectif pour chaque pratiquant est d'atteindre individuellement et "égoïstement" l'illumination et de devenir un "Bouddha pour soi". C'est la forme de bouddhisme la plus répandue en Asie du Sud et Sud Est (au Sri-Lanka, au Myanmar, au Cambodge, au Laos, et en Thaïlande). Elle représente environ 35% des pratiquants bouddhistes.
Une deuxième école s'est développée plus tard, deux siècles après Bouddha: le Mahayana dit aussi Grand Véhicule. C'est une forme de bouddhisme que l'on peut dire plus "altruiste" dans la mesure où il ne s'agit plus simplement d'une quête de sagesse individuelle. Les êtres parvenus à l'éveil ont le devoir d'aider le plus grand nombre à accéder aussi à cette sagesse. Pour cela les éveillés renoncent à l'accession au Nirvana (la libération définitive) et consentent à renaître sous forme de bodhisattva (disciple éveillé) dans ce but généreux. C'est la forme la plus répandu qui représente 62% des pratiquants et se retrouve principalement au Viêtnam, en Chine, en Corée, et au Japon.
La dernière école est le Vajrayana ou Véhicule de Diamant, il est aussi appelé bouddhisme tantrique. C'est le bouddhisme particulier des régions himalayennes (essentiellement le Tibet mais aussi le Népal, le Bhoutan et les régions indiennes du Ladakh, du Zanskar et du Sikkim). Il a une finalité bodhisattvique comme le Mahayana (c'est à dire que les êtres éclairés peuvent se maintenir dans le monde pour aider leurs semblables à atteindre l'éveil) mais il est fortement inspiré de l'hindouïsme qui était préexistant dans ces régions. Il  fait appel à d'autres traditions comme le tantrisme. C'est la forme la moins pratiquée (il représenterait seulement 3% de l'ensemble des pratiquants asiatiques) mais paradoxalement la plus connue et répandue en Occident. Il est lui même divisé en quatre écoles (Nyingmapa, Kagyüpa, Sakyapa, Gelugpa). Le Dalaï Lama n'est que le chef temporel de l'une de ses sous-écoles (celle des gelugpa ou "vertueux"). Ainsi contrairement à l'image que l'on peut avoir, le Dalaï Lama ne représente qu'une partie infime de la population bouddhiste (mais est respecté et reconnu par les autres).
 
Au delà des différentes traditions, tous les bouddhistes reconnaissent quatre propositions essentielles, aussi nommées quatre nobles vérités, la base de ce qu'un bouddhiste doit savoir:
- Toute vie implique la souffrance, l'insatisfaction;
- L'origine de cette souffrance repose dans nos désirs, nos attachements;
- Il est possible de mettre fin à cette souffrance;
- Pour cela il faut emprunter la voie médiane qui suit... le noble sentier octuple.

Le noble sentier octuple? C'est bien alambiqué!
Il s'agit des huit étapes spirituelles par lesquelles passer pour suivre la voie du Bouddha. Les voici:
- Compréhension juste ou correcte des choses et des phénomènes
- Pensée juste
- Parole juste
- Action juste
- Moyens d'existence justes
- Effort juste
- Attention juste
- Concentration juste
 
Bon courage!
 
 
Bâtiments de terre de l'ancien monastère de Tabo
 
Les petites notions que nous glanons sur cette religion/philosophie nous permettent de comprendre et d'apprécier parfois ce que nous voyons, comme ces étranges petites sculptures faites en beurre (si! si!) coloré qui ornent parfois l'intérieur des temples. Les moines fabriquent ces œuvres éphémères car elles rappellent le caractère périssable et transitoire de toute chose (l'une des Trois Caractéristiques de l'Existence). Mais ce que j'apprécie le plus c'est les multiples petits symboles que les bouddhistes cachent dans la nature, belle et sauvage de l'Himalaya. Drapeaux à prières si colorés qui flottent aux vents en haut des cols, sutras (prières) gravés sur des pierres au détour d'un chemin, blancs stupas accrochés aux rochers, rouleaux à prière inattendus. Le bouddhisme agrémente la montagne de surprises et de poésie.
 
A Tabo, assouvissons une vieille curiosité et goutons le cocktail tibétain tsampa et thé beurré. Curiosité née de la lecture des aventures d'Alexandra David Neels, première femme occidentale à avoir pénétré la ville sacrée de Lhassa.  Pour atteindre la cité, malgré l'interdiction chinoise, elle a fait le voyage à pied, déguisée en mendiante et accompagnée de son fils adoptif, le lama Yongden. Leur voyage  au travers les montagnes himalayennes a duré des mois. Ils n'avaient quasiment aucun matériel. Pas de couvertures, ils dormaient enveloppés dans leurs habits, ils se nourrissaient de maigres aumônes ou de tsampa et thé beurré qu'ils préparaient au feu de bois. Une leçon d'humilité pour tous les trekkeurs! On nous a vanté les mérites énergétique de la farine d'orge grillé (tsampa). Après avoir gouté nous sommes un peu déçus. La tsampa ça ressemble un peu aux "Weetabix".
Nous repartons sans trop savoir où nous allons dormir. La fatigue se fait un peu sentir et il devient clair que nous n'atteindrons jamais le prochain village, Nako avant la nuit. Il va falloir s'arrêter avant pour trouver un bivouac (ce qui est mission impossible sur ce relief accidenté), ou s'arrêter dans les hameaux de Horling ou Sumdo. A Horling il n'y a rien, même pas une dhaba avec un petit jardin où nous aurions pu demander à camper. Nous faisons huit kilomètres supplémentaires et atteignons Sumdo en fin d'après-midi. Grosse déception, Sumdo est un "bidon-village": des abris de fortune de tôle, pierres et plastiques, un poste de police. Sumdo est tout proche de la frontière chinoise fermée, la route qui y mène est bien surveillée. Il y a cependant une bâtisse au toit vert: la "rest house" gouvernementale. C'est un appartement, luxueux et propre pour l'Inde, composé d'une chambre, d'une cuisine, d'un séjour et destinée à accueillir les officiels de passage. Les gardiens peuvent aussi la louer aux touristes, si elle n'est pas occupée, pour le prix exorbitant 1000 roupies. Nous argumentons que nous n'avons pas besoin de tout cet espace et que nous nous contenterions d'une place dans le jardin de la rest house pour planter notre tente. C'est impossible. Mais en Inde il y a une solution à tout. Le gardien nous propose de dormir dans une chambre sur le toît de leur maison pour 500 roupies. Nous ne savons pas qui dort là d'habitude, mais c'est l'endroit le plus sale et le plus misérable que nous ayons jamais vu. Le sol est recouvert de gravier, les murs sont colmatés de plastique, il y a un gros trou dans le toit qui laisse passer l'air froid et la porte ne ferme pas. A l'intérieur il y a un lit sur lequel une couverture et une serviette sales sont jetées en boule. Il y a aussi tout un bazar usagé: une brosse à dents, un savon, des seaux, des accessoires de cuisine, un réchaud, des plats où moisissent des restes de nourriture, un paquet de farine ouvert, des fripes qui pendent au mur...  Nous n'avons pas le choix, nous allons dormir ici, mais seulement pour 200 roupies, ce qui est déjà une excellente affaire pour le gardien! Nous installons nos ponchos sur le lit en guise d'isolant, les tapis de sol par dessus et enfin les duvets. A sept heure les gardiens nous emmènent un repas dans la chambre: un très classique rice dal et chapati. Bien sur il n'y a plus d'électricité et nous mangeons notre pitance à la lueur des frontales et d'une bouteille d'alcool munie d'une mèche, amusés par le romantisme de la scène. Avant de dormir nous coinçons la porte avec nos vélos. La nuit cette antre nous révèlera une dernière surprise. Nous ne sommes pas seuls et toute une famille de souris fait du tapage jusqu'à l'aube, se régalant des restes de nourritures qui traînent dans les coins. Au petit matin nous quittons sans regret notre taudis.
 
 
La chambre de Sumdo

 
L'étape d'aujourd'hui doit nous mener au petit village de Nako. Seulement cinquante kilomètres, mais vingt de montée très raide. On monte, on monte... Toute la matinée. On se fait un repas de noodles soup au bord de la route, au milieu de nulle part. La route, elle fait parfois peur. On est au bord d'éboulis qui ne nous semblent pas très stables. D'ailleurs, si on passe par Nako c'est que la route qui suit la vallée s'est effondrée. Les routes de la vallée de Spiti sont une parfaite illustration du concept bouddhiste d'impermanence: rien n'est éternel, tout est en constant changement!
 
 
 
La route qui mène à Nako, minérale et vertigineuse
 
 
Avant Nako nous sommes charmés par un hameau où les abricots sèchent sur les toits, dans une maison il y a beaucoup d'agitation. D'en bas, des jeunes nous hèlent de venir les voir. Nous sommes invités à prendre le thé et on nous offre de petites fritures. C'est un mariage qui se prépare!
Quelques tours de roues plus loin, nous tombons amoureux de Nako, village propret et ancien. Dans des champs bien entretenus, des femmes récoltent des haricots. Ce soir-là nous dormons dans une joli chambre qui donne sur un jardin planté de fleurs et de légumes. On regarde, émerveillés, pousser les choux fleurs devant les montagnes. Nous faisons une visite buissonnière du vieux village, de ses maisons de terre, de l'ancien monastère. On mange les meilleurs momos du voyage dans une toute petite échoppe: "tibetan kitchen", succulents, faits avec les légumes du jardin. Quel contraste avec notre soirée de la veille! Comme tout change vite en voyage!
 
 
Potager idyllique
 
 
 
Préparation de pain tibétain pour le petit déjeuner

 
 
Enfants de Nako
 
 
Le lendemain ça commence très facilement par une descente de 30km. On à qu'à laisser rouler et ouvrir les yeux sur les merveilles minérales qui nous entourent. Nous rencontrons beaucoup d'autres cyclistes qui font la route dans l'autre sens durant cette étape: tout d'abord 6 cyclistes suisses qui voyagent escortés par 2 voitures, ensuite un anglais qui nous parait très affuté. Après avoir passé la ville de Puh, affreuse bourgade militaire peu hospitalière, nous nous arrêtons manger les ultimes pâtes et noodle soup qui nous restent. Cette fois c'est un cycliste canadien qui s'arrête, amusé de nous voir ainsi cuisiner en bord de route, et discute un moment.
 
 
Encore une noodle soup en bord de route

Enfin, une heure plus tard nous croisons un dernier cycliste australien. Tous, sans exception nous préviennent qu'il y a une portion de route d'une trentaine de km après la ville de Rékong Peo qui est exécrable (des travaux, de la boue, des camions et de la poussière) et nous conseillent d'éviter de rouler sur cette section. Message reçu.
 
 
Confluence indo chinoise où le mélange saisissant de deux rivières l'indienne bleue et de la brune chinoise

L'après midi le vent se lève, en pleine face. Nous sommes désormais dans la vallée de Kinnaur. Nous descendons péniblement la rivière Sutlej avec l'impression de la remonter. Nous ne savons pas où nous allons dormir, mais cette fois nous sommes chanceux car à Spello, où nous arrivons fourbus en fin d'après midi, il y a une guest house. C'est spartiate, une pièce avec un sol en béton, un lit dont le sommier est une planche, et en guise de salle de bain commune une pièce avec un robinet d'eau froide et un seau pour se laver. Parfait, il ne nous en faut pas plus. Dans la dhaba il y a des blattes mais le dal rice est bon et on est si contents d'être arrivés!

Le lendemain nous reprenons la route direction Kalpa, une vallée adjacente à la vallée de Kinnaur où se trouve la ville principale de Rekong Peo. Le début est facile, la route monte en balcon au dessus de la rivière, parfois creusée dans la roche de manière spectaculaire. Une grande gorge. Après ça se gâte et nous pénétrons dans une zone de travaux: circulation bloquée pour cause de chute de pierres (des indiens creusent la roche au marteau piqueur), poussière dans les yeux, la bouche, les narines... C'est tellement pénible que nous pensons un moment essayer de nous faire prendre en stop par un camion. Mais lorsqu'on s'arrête pour en attendre un, il n'en passe plus. C'est l'occasion de faire une pause, de discuter (ou de tenter) avec deux jeunes indiens qui ne parlent qu'hindi et qui transportent (mais pourquoi donc?) une grosse bûche. Nous partageons notre  paquet de gâteaux avec eux, ils nous offrent une belle pomme et un ingénieur du chantier nous offre des noix toutes fraîches. Nous reprenons la route et -ouf!- les travaux cessent et la route redevient plus escarpée au dessus de la rivière. Nous atteignons la bifurcation qui nous mènera à Rekong Peo (dit juste "Peo" pour les intimes).
 
 
Rencontre sympa au milieu des travaux
 
 
 
Route creusée dans la roche

Il est bientôt 13h et nous nous arrêtons pour manger. Nous trouvons un peu d'ombre sous un rocher et commençons à cuisiner les classiques et lassantes "noodle soup" sous cet abri. L'endroit devient vite infesté de mouches que nous nous évertuons à chasser de nos aliments. Elles finissent par gagner la partie et nous fuyons boire notre thé et manger notre pomme en plein soleil et en plein vent. Pierre, abattu, me demande: "Dis Anne-marie, il finit quand l'entraînement commando?!?" Malheureusement pas tout de suite, nous continuons par une montée régulière jusqu'à Rekong Peo, ville sans charme s'étalant le long de la route puis l'apothéose de la journée, 7km de montée très raide (800 mètre de dénivelé) jusqu'au petit village de Kalpa, terminus de notre étape. On est épuisés par la journée. Un dernier effort pour pousser les vélos en haut des escaliers qui nous mènent à Chindi bungalow, la guest house où nous élisons domicile pour la nuit.
Le soir nous visitons tranquillement le village, son temple hindou, son temple bouddhiste. La végétation a changé. C'est vert, il y a désormais des arbres, des pins et surtout des pommiers où s'accrochent de belles pommes rouges. Le soir nous observons le soleil se coucher dans l'épaisseur moelleuses des nuages accrochés aux montagnes.
 
 
Les chèvres rentrent à la bergerie

 
Le lendemain nous pensions visiter la vallée de Sangla avant de repartir pout Delhi, mais le sort en a décidé autrement...